Lorsque les vagues de la mer viennent se briser sur les côtes à Aného, Togo et à Grand Popo, Bénin en ce mois d’avril 2024, c’est la tranquillité pour les populations riveraines. Fuyant la chaleur des maisons, des riverains viennent prendre de l’air frais sous les cocotiers.
Erosion côtière : une menace pour les populations du littoral
Il y a quelques années encore, habiter en bordure de mer était synonyme de panique.
« Il n’y a pas de mot pour décrire les épreuves que la mer nous a fait subir. À marée haute, de puissantes vagues de plus de deux mètres de haut pouvaient frapper et briser les murs et les portes de nos maisons qui se retrouvaient totalement inondées », se souvient Ayayi Hounlede, un habitant du quartier Flamani sur la côte à Aného. «Nous avions des risques d’électrocution, et les hommes devaient veiller des nuits entières pour protéger les femmes et les enfants».
A une trentaine de kilomètres de là, à Grand-Popo au Bénin, Couao-Zoti Ahlin Gustave, un ancien fonctionnaire de banque, se rappelle le jour où l’hôtel qu’il avait construit pour s’assurer une retraite paisible s’est effondré, frappé par de puissantes vagues. L’investissement de toute une vie venait d’être engloutie par la mer.
Depuis des décennies, la côte ouest-africaine est dévastée par l’intensification de l’érosion côtière qui détruit des investissements et menace des vies humaines, engloutissant tout sur son passage.
Chaque année, le Bénin et le Togo connaissent une avancée considérable de la mer d’environ 15 mètres, et même entre 20 et 30 mètres par endroits, entraînant des conséquences désastreuses. Pourtant, le lien est étroit entre les populations côtières et la mer.
« Nous sommes des gens de la mer, et elle est au cœur de notre vie quotidienne. Mais du fait de l’action humaine et du changement climatique, cette mer est devenue un adversaire redoutable, menaçant nos vies, engloutissant nos maisons, et emportant nos lieux de mémoires dont certains se retrouvent aujourd’hui à plus de 500 mètres dans la mer « , souligne Alexis Aquereburu, Maire de la Commune des Lacs 1 (Aného, Togo).
Le WACA fait renaître l’espoir : une vraie «réconciliation avec la mer» s’opère !
Cette situation de détresse a sonné l’alarme dans tous les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest qui se sont lancés à la recherche de solutions durables pour freiner l’avancée de la mer.
Le lancement en 2018 du Programme de gestion du littoral ouest-africain – WACA (West Africa Costal Areas Program), financé par la Banque mondiale – par l’intermédiaire de l’Association internationale de développement (IDA) – à hauteur de 594 millions de dollars, a fait renaître de l’espoir dans les pays participants.
Au Bénin et au Togo, le WACA a financé la réalisation d’une vingtaine d’ouvrages transfrontaliers majeurs sur 42 kilomètres, allant de Agbodrafo à Aného (Togo) jusqu’à Hillacondji et Grand-Popo (Bénin). Résultat ? Un recul impressionnant de la mer sur des centaines de mètres : » A Grand-Popo, la mer a été repoussée sur plus de 200 mètres, et nous avons regagné une plus grande plage qui s’est reconstituée sur une longueur de plus de 5,3 kilomètres ! » , s’exclame Joycelyn Ayité Ayi, le maire de la ville.
Plus important encore, 27 000 ménages, soit plus de 145 000 personnes environ, sont désormais en sécurité et à l’abri des inondations. « Nous dormons désormais paisiblement, et la peur que la mer ne vienne inonder nos maisons dans la nuit nous a quitté « , explique Hounlédé.
« Nous avons regagné notre plage et lorsqu’il fait chaud, plus de 50 personnes viennent ici avec leurs nattes pour dormir et profiter de la brise jusqu’au petit matin », ajoute-t-il.
A Aného, la reconstitution de la plage, là où la mer régnait en maître, a permis l’aménagement d’espaces de loisirs, de sport pour les élèves et les jeunes, ainsi qu’une longue piste cyclable sur laquelle les gens circulent paisiblement. De l’avis du maire Aquereburu, « Le WACA est un projet d’espérance parce qu’il nous a vraiment réconciliés avec la mer, qui est notre vie ».
Regain en intensité pour les activités de pêche
Sur les côtes togolaises et béninoises, la pêche artisanale regagne en intensité. Devant des tas de poissons fraîchement débarqués des pirogues sur la place à Kpémé, Togo, Djourdé Bouboukari, l’ancien étudiant de 29 ans devenu pêcheur, explique que ce retour des poissons a un rapport direct avec les travaux du WACA.
« Les poissons aiment là où il y a les fosses. Avec les travaux du WACA, des excavations sous-marines ont été creusées pour prélever le sable qui a servi à reconstituer les plages. Quand les poissons passent, ils vont directement dans ces fosses et sont poussés vers la côte. C’est là notre avantage », se réjouit-il.
«En moins d’un an après les travaux, certaines espèces de poissons disparues de nos côtes sont en train de revenir, » ajoute Dosseh Legbeze, président de la Fédération nationale des coopératives des pécheurs du Togo. « Lorsque la pêche est bonne, la recette peut aller jusqu’à 3 ou 4 millions de francs CFA par jour !».
Au bout de la chaîne, les mareyeuses voient leur situation évoluer sensiblement. A Kpémé, Florence Akouete ne connaît plus de rupture d’approvisionnement en poissons.
« Du lundi au dimanche nous avons du poisson, à l’exception du mercredi où les hommes ne vont pas en mer», dit-elle.
Cette mère de trois enfants revend le poisson fumé dans les villages environnants, et aussi dans la capitale Lomé.
« J’achète de la nourriture, je donne de l’argent de poche aux enfants, j’aide mon mari pour les soins médicaux de la famille, et je me fais plaisir pour ce qui concerne mes propres besoins ».
De belles opportunités s’ouvrent pour l’industrie de l’éco-tourisme
Avec la protection de la côte, le WACA redonne confiance aux investisseurs et met en avant les atouts touristiques naturels des villes. Lionel Djondo, la quarantaine, ne s’inquiète plus de la survie de son restaurant Miadjoe situé à Aného, à l’embouchure entre l’océan et le Lac Togo.
Mieux, il s’est engagé dans la construction d’un nouvel hôtel en bord de mer et se dit qu’il est arrivé «au moment où toutes les étoiles étaient alignées».
« Les résultats du WACA nous ont rassurés pour investir dans la construction de cet hôtel. Nous allons attirer plus de touristes, ce qui permettra de créer plusieurs emplois pour les jeunes », dit-il.
Le maire de Grand-Popo, quant à lui, veut tirer profit de la situation géographique privilégiée de sa ville.
« Notre position sur le corridor Abidjan-Lagos est stratégique. Nous prévoyons de réaliser des infrastructures écotouristiques et travaillons actuellement sur un plan d’aménagement qui permettra aux opérateurs économiques de venir investir dans ces espaces qui sont si beaux », se réjouit-il.
Renaissance de la mangrove, Activités économiques pour les femmes
Au-delà de la protection côtière, le WACA intègre une importante dimension écologique et participe à la réduction de la pauvreté. Dans la zone côtière, la renaissance de la mangrove permet à la biodiversité autrefois menacée de se restaurer progressivement.
Près de 87 hectares de mangroves sont protégés et conservés dans l’Aire communautaire de conservation de la biodiversité de Togbin Adounko au Bénin, et près de 257 hectares de mangroves sont restaurés au Togo.
Ces solutions protègent les berges lagunaires contre l’érosion, restaurent la faune aquatique, préservent la biodiversité, et contribuent à la séquestration du carbone.
D’autres initiatives ciblent les femmes dans des zones rurales, à travers des activités économiques. Les conditions de vie des 730 membres de la Coopérative des transformateurs de produits agricoles à Agamé, au Bénin, s’améliorent grâce à un don de 37 millions de francs CFA qui leur a permis de se doter d’équipements divers qui rendent leurs activités plus prospères.
Les 79 membres de l’Association Dagbé Néva du village de Mome Katihoue au Togo sont également satisfaits d’avoir pu quadrupler leur production d’huile de palme.
Le financement de l’IDA a attiré d’autres partenaires. Au Togo, l’Agence française de développement, Invest International apportent respectivement 35 millions d’euros et 25 millions d’euros pour poursuivre les travaux de protection du littoral.
Tandis qu’au Bénin, le Fonds nordique de développement finance les travaux de stabilisation et d’aménagement de la berge sud du fleuve Mono à Gbékon pour mettre plus de 21 000 ménages à l’abri des inondations.
Vers un développement de l’économie bleue en Afrique de l’Ouest
Dans l’ensemble des autres pays couverts par le WACA- Côte d’Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée Bissau, Mauritanie, Sao Tome et Principe, Sénégal, les actions s’accélèrent pour assurer un avenir durable aux communautés côtières.
« Les défis de développement des zones côtières sont complexes et doivent être résolus dans une approche régionale. L’action concertée entre le Bénin et le Togo dans la réalisation des ouvrages transfrontaliers est une belle illustration de l’intégration régionale, et c’est une première en Afrique de l’ouest », se réjouit Boutheina Guermazi, directrice de l’intégration régionale pour l’Afrique et le Moyen-Orient à la Banque mondiale.
« Nous pensons déjà à la prochaine phase du WACA qui prendra en compte toutes les dimensions de l’économie bleue en Afrique de l’ouest », conclut-elle. FIN
Source : Banque mondiale