« Je ne peux jamais oublier mon séjour à la prison civile de Lomé. J’y ai passé 17 mois dont 9 mois au Cabano du CHU Sylvanus Olympio où j’ai accouché. Je vous avoue que les conditions de détention sont inhumaines. Les nuits, nous dormions de la manière dont on dispose les sardines dans les boîtes, car nous étions 35 femmes dans une pièce devant contenir au plus 7 personnes », raconte larmes aux yeux, Eynonam Martine (35 ans).
Cette dernière a fait la prison de Lomé de juin 2021 à octobre 2022, dans une affaire de vol au domicile de sa patronne.
« Les conditions sont étouffantes. Tout est sale, il n’y aucune condition d’hygiène. Je ne souhaite pas voir mon pire ennemi dans cette maison », ajoute la jeune dame rencontrée dans les locaux de l’Ong Solidarité Mondiale pour les Personnes Démunies et les Détenus (SMPDD). Cette structure l’a accompagnée à se réinsérer, en l’aidant à décrocher un petit emploi au sein de l’Ong « Maison d’accueil des enfants en difficulté » (MAED).
Espoir Tévi, 27 ans, raconte aussi sa mésaventure à la prison civile de Lomé. L’homme a été incarcéré du 24 décembre 2018 au 26 juin 2019, dans une affaire de vol dans un hôtel, qu’il gérait.
« J’étais resté dans le bâtiment 6 où nous étions 180 détenus. En temps normal, ce bâtiment devrait contenir au plus 60 personnes. Les nuits, on dormait assis, en adoptant la +position échappement+, qui consiste à se coincer entre les jambes de son voisin immédiat, ce qui fait que les pieds s’enflent. Car le sang ne circule plus bien. Pas de toilettes à l’intérieur des bâtiments, si bien que les nuits, nous faisions nos besoins dans des bidons. Actuellement, je suis traumatisé », lance-t-il en sanglots.
Construite pendant la période coloniale pour une capacité d’environ 660 personnes, la prison civile de Lomé – la plus grande prison du Togo – comptait 1598 détenus dont 973 en détention préventive soit les 60,89% de l’effectif total, selon le rapport sur les conditions de détention et de torture produit en 2021 par la coalition des Organisation de la société civile lors de l’Examen Périodique Universel (EPU).
Cette surpopulation carcérale a amené le chef de l’Etat togolais Faure Gnassingbé a gracié ces dernières années sur l’ensemble du pays, plusieurs détenus en fin de peine dans le cadre de la mise en œuvre de la « politique pénale de désengorgement des établissements pénitentiaires du Togo ».
364 prisonniers ont été graciés en novembre 2022, 1048 en avril 2020, 352 en mars 2023 et 956 en octobre 2023.
« Conditions inhumaines »
Selon l’article 16 de la constitution togolaise, « tout prévenu ou détenu doit bénéficier d’un traitement qui préserve sa dignité, sa santé physique et mentale et qui aide à sa réinsertion sociale ».
Et l’article 5 de la déclaration universelle des droits de l’Homme, précise : « nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».
« La situation pénitentiaire au Togo reste et demeure effroyable. Le surpeuplement carcéral est sérieux au Togo et il va falloir rapidement revoir la situation. Le problème est là et il faut trouver une solution. Je pense qu’il faut réfléchir autrement, car les détenus sont dans des conditions inhumaines », a déployé Pasteur Edoh Komi, président du Mouvement Martin Luther King (MMLK), une ONG de défense des droits de l’Homme très active au Togo.
« Malgré les engagements pris par le pays en 2016, les prisons du Togo restent surpeuplées et les conditions de détention ne sont pas conformes aux normes internationales en matière de droits humains », avait dénoncé Amnesty international, lors de sa communication pour l’EPU (ONU) en février 2022.
Selon l’Organisation de défense des droits de l’Homme, « hormis la construction d’une nouvelle prison à Kpalimé, les autorités ont fourni peu d’efforts pour réduire la surpopulation carcérale et elles ne recourent jamais aux alternatives à la détention. Les autorités judiciaires continuent de recourir abondamment à la détention préventive. Sur les 4.906 détenus, seuls 2.144 étaient déjà condamnés au 1er mai 2021, soit un taux de détention provisoire de plus de 56 % par rapport à la population carcérale ».
En août 2019, le Comité contre la torture des Nations Unies avait aussi, lors de la présentation du troisième rapport périodique du Togo à Genève (Suisse), recommandé aux autorités togolaises, de fermer la prison civile de Lomé.
« Beaucoup de défis »
« La prison civile de Lomé présente beaucoup de défis en termes de surpopulation, de santé, d’hygiène et même de personnel. Cette prison ne présente pas les critères qui définissent les standards internationaux de détention, ce qui veut dire qu’il y a beaucoup d’amélioration à faire au niveau du respect des droits de l’Homme », a souligné Joël Kessouagni, Directeur des programmes à l’Ong SMPDD.
« C’est vrai que les Nations Unies ont demandé à l’Etat de fermer la prison civile de Lomé parce qu’elle ne réunit pas les conditions nécessaires au respect des droits humains, mais alors qu’elle est la solution ? Nous sommes conscients que nous sommes dans un pays en voie de développement qui présente beaucoup de défis sur le plan social, sur le plan de l’éducation, sur le plan de la justice et de la santé et nous ne sommes pas dupes parce que c’est un système mondial qui souffre. Nous avons beaucoup de programmes à notre niveau comme approche de solution en termes de réinsertion, de sensibilisation et de prévention parce qu’il faut agir aussi en amont », a-t-il ajouté.
En novembre 2022, l’ancien ministre de la justice, Pius Agbetomey, avait annoncé la construction d’une nouvelle prison de Lomé, une maison d’arrêt « moderne » à Dalavé (Préfecture de Zio), localité située à environ 25 km au nord de Lomé.
« Nous avons identifié le terrain et le ministère de la justice a déjà les documents administratifs qui lui attribuent 7 hectares de terrain à Dalavé pour la construction de la nouvelle prison civile de Lomé », avait-il souligné.
Est-ce un effet d’annonce ? Pour l’instant, aucune action concrète n’a encore été posée. FIN
YIBOKOU-MENSAH Akossiwa