L’excision est une mutilation génitale féminine (MGF) qui continue d’entraver l’épanouissement sexuel et moral des filles et des femmes dans les pays concernés dont le Togo. Malgré les incessantes actions de sensibilisation, ce fléau prend de l’ampleur, créant frustration et ressentiment.
À ce jour, les actions sont principalement axées sur la sensibilisation aux conséquences sur la santé. Sur le plan juridique, les sanctions sont rares, malgré les dommages enregistrés.
« Cette année, près de 4,4 millions de jeunes filles seront exposées aux mutilations génitales. Cela représente plus de 12.000 cas par jour », ont conjointement alerté le 6 février dernier le HCDH, ONU Femmes, UNICEF, UNFPA et l’OMS, à l’occasion de la Journée internationale de la tolérance zéro à l’égard des mutilations génitales féminines.
Dans une déclaration commune, ces institutions informent populations et décideurs que les chiffres sont alarmants : « Plus de 230 millions de femmes et de filles actuellement en vie, ont subi une forme de mutilation génitale féminine », ont-elles rappelé, soulignant qu’il s’agit d’une pratique qui bafoue les droits humains des filles et des femmes et il faut y mettre fin.
Extrêmement douloureux
Les mutilations génitales féminines désignent toutes les interventions visant l’ablation partielle ou totale des organes génitaux externes de la femme ou toute autre mutilation des organes génitaux féminins pratiquée à des fins non thérapeutiques, explique l’UNFPA dans l’une de ses publications.
L’eurodéputée Assita Kanko, qui a subi cette mutilation à l’âge de 5 ans, a déclaré à l’Agence France-Presse (AFP) que c’était extrêmement douloureux : « C’était la journée la plus terrible de ma vie. On m’a tenu les jambes et les bras et je n’ai plus eu mon mot à dire. Le pire, c’est que personne ne vient quand vous appelez au secours… », a-t-elle dit lors d’une interview accordée à l’AFP.
« À cause de l’excision, j’ai accouché dans d’atroces douleurs qui ont duré presque 24heures. J’ai finalement été césarisée et je n’ai pas pu marcher pendant plusieurs jours. Je suis vraiment contre l’excision », martèle Sadiath (une Togolaise de 23 ans, vendeuse de fromage frit à base de soja) interviewée au Centre hospitalier universitaire Sylvanus Olympio (CHU SO) situé à Lomé.
De son côté, Pr Baguilane qui est le chef de service de gynécologie obstétrique du CHU Sylvanus Olympio se souvient encore d’un de ces cas: « Dame Aicha a été reçue au CHU Sylvanus Olympio suite à un accouchement difficile, qui a engendré de graves déchirures au niveau de son appareil génital, une des graves conséquences de l’excision subie dans son enfance. Il n’y a aucun avantage dans l’excision : c’est une pratique néfaste. Certains essaient même de coudre l’orifice vaginal pour le réduire », déplore-t-il.
Pour Dr Djibril Diallo, initiateur de la campagne Carton rouge aux violences basées sur le genre, c’est une violation des droits de la personne. Et les auteurs doivent être identifiés et punis.
ONU Femmes signale également que c’est « une violation brutale des droits humains et de l’intégrité physique et morale des filles et des femmes, ce qui a des conséquences directes violentes sur leur vie et peuvent provoquer des séquelles à long terme ».
Une pratique persistante
Ces pratiques violent également les droits à la santé, à la sécurité ; le droit d’être à l’abri de la torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que le droit à la vie lorsqu’elles ont des conséquences mortelles », signale l’OMS.
Malgré les efforts déployés par les nations, la pratique ne finit pas : « Au total, 4,6 millions de filles risquent de subir des mutilations génitales d’ici à 2030 », signalent les statistiques conjointes UNICEF-UNFPA. En Afrique, plus d’une trentaine de pays sont concernés.
Selon le Comité interafricain sur les pratiques traditionnelles (CIAF) au Togo, la région centrale et celle de la Kara sont les plus touchées par l’excision.
Rencontré dans son bureau, le Procureur de la République nous souligne que ces « rites sont entièrement néfastes et empêchent la femme de jouir convenablement de ses droits ». Monsieur Mawama rappelle que le Togo dispose de textes qui sanctionnent la pratique.
En effet, la loi n°38-016 du 17 novembre 1998 interdit toute forme de MGF et le nouveau Code pénal en vigueur depuis le 24 novembre 2015, érige la pratique en infraction pénale.
Le Code de l’enfant en son article 361 souligne : « Quiconque, par des méthodes traditionnelles ou modernes, aura pratiqué ou favorisé les mutilations génitales féminines ou y aura participé se rend coupable de violences volontaires sur la personne de l’excisée ». La punition va de deux à cinq ans d’emprisonnement et l’amende, de cent mille à un million de FCFA (art 362). Elle est portée au double en cas de récidive. La non dénonciation est également punie par le Code.
Interrogée sur la question, Mme Assiby Napoe, présidente de la Ligue togolaise des droits de la femme/LTDF souligne que « l’excision est aussi une violence basée sur le genre et un obstacle au développement holistique de notre pays ».
Pour Komlan Ekué (directeur de l’Agence EZO Stratégies Int), la pratique a été poussée vers la clandestinité et a franchi les frontières pour éviter les poursuites.
« Les textes de lois sont très contraignants, ce qui fait que ces pratiques qui étaient auparavant publiques, sont devenues secrètes ou sont pratiquées plus précocement. La raison en est que les populations qui les pratiquent sont persuadées des bénéfices essentiels qu’elles tirent de ces pratiques (pour le bonheur de leur progéniture et la dignité des familles) », explique M. Ekué.
Quelles approches de solution?
Pour M. Ekué, il faut aller à la racine du mal pour en cerner le sens.
« Tout travail portant sur une pratique coutumière doit être abordé, en prenant avant tout en compte, des éléments d’analyse profonde avec un recul et une objectivité scientifiques. Les raisons qui expliquent une pratique doivent être étudiées de manière neutre en se plaçant dans le contexte historique approprié », explique-t-il.
Comme solution, il faut selon Komlan Ekué, « promouvoir l’aspect initiatique et cérémoniel de l’excision et interdire l’ablation du clitoris ». Mais Togbui Dzidzoli Mawuto Détu X (chef canton de Djidjolé, interrogé le 6 février dernier à l’occasion de la journée internationale de tolérance zéro à l’égard des MGF) a dit qu’il faut considérer les MGF comme des crimes.
La plupart des personnes interviewées soutiennent que l’excision devrait être au cœur de grands débats juridiques car, non seulement la pratique porte atteinte à l’intégrité physique des filles et des femmes, mais les prive également d’une bonne jouissance de leurs droits à divers niveaux, réduisant ainsi leurs perspectives d’avenir.
« Même si certaines pratiquantes ont déposé les coûteaux, nombreuses sont celles qui perpétuent cette culture. La sensibilisation n’empêche pas les sanctions. Il faut reconnaitre que c’est un acte handicapant et brutal, posé dans des conditions peu hygiéniques et sur des êtres sans défense. Et si on tient compte du nombre de fillettes décédées (souvent non déclarées) des suites d’une excision, l’acte est suffisamment grave pour susciter de grands débats visant à y mettre un terme, de la façon aussi brutale qu’il est commis », souligne Antoinette, étudiante en droit.
Notons que la Déclaration du Caire sur les normes législatives pour la prévention des MGF, adoptée en juin 2003 encourage le recours à des approches juridiques en complément aux initiatives en faveur d’un changement social. FIN
Ambroisine MEMEDE