Un jugement sans précédent: Nicolas Sarkozy est devenu lundi le premier ancien président de la Ve République condamné à de la prison ferme, à un an pour corruption et trafic d’influence dans l’affaire dite des « écoutes », une décision dont il va faire appel.
Avant lui, seul Jacques Chirac avait été sanctionné par la justice, condamné en 2011 à deux ans de prison avec sursis dans le dossier des emplois fictifs de la ville de Paris.
Nicolas Sarkozy, qui a toujours affirmé n’avoir jamais commis « le moindre acte de corruption », va faire appel de sa condamnation à trois ans d’emprisonnement, dont deux avec sursis – une peine aménageable.
L’ex-chef de l’Etat est « combattif, calme et déterminé, il a pour lui la vérité il souhaite qu’elle éclate », a assuré sur BFMTV son avocate Jacqueline Laffont, qui table sur un prochain procès d’ici un an.
« Il est dans l’étape suivante, ce jugement n’existe pas, la peine n’existe plus, nous sommes dans l’appel », a-t-elle martelé.
Les juges ont prononcé la même peine pour l’ancien haut magistrat Gilbert Azibert et l’avocat historique de l’ex-président, Thierry Herzog, assortie pour ce dernier d’une interdiction professionnelle de cinq ans. MM. Azibert et Herzog ont en outre été reconnus coupables de violation du secret professionnel.
Les conseils des deux hommes ont indiqué à l’AFP qu’ils avaient eux aussi interjeté appel qui est suspensif, comme pour M. Sarkozy.
Nicolas Sarkozy, qui a été « garant de l’indépendance de la justice, s’est servi de son statut d’ancien président (…) pour gratifier un magistrat ayant servi son intérêt personnel », a déclaré en début d’après-midi la présidente Christine Mée, estimant qu’un « pacte de corruption » était bien constitué.
– Deuxième procès –
Les prévenus « ont porté gravement atteinte à la confiance publique en instillant dans l’opinion l’idée selon laquelle les procédures devant la Cour de Cassation (…) peuvent faire l’objet d’arrangements occultes destinés à satisfaire des intérêts privés », selon le jugement. « Ce dévoiement (…) exige une réponse pénale ferme ».
Le tribunal est néanmoins resté en-deçà des réquisitions du parquet national financier (PNF), qui avait demandé quatre ans d’emprisonnement dont deux ferme pour les trois prévenus. Le patron de ce parquet financier, Jean-François Bohnert, était présent en personne lundi.
Les réactions n’ont pas tardé à droite de l’échiquier politique, où l’on a dénoncé un « acharnement judiciaire » et la « sévérité » de la peine.
Seul membre du gouvernement a avoir réagi sur cette décision de justice, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a apporté son « soutien amical » à son ancien mentor.
« Quel acharnement insensé », a écrit Carla Bruni-Sarkozy sur son compte Instagram, ajoutant: « Le combat continue, la vérité fera jour ».
Cette première condamnation pour Nicolas Sarkozy intervient alors qu’il doit à nouveau faire face à des juges, dès le 17 mars, au procès de l’affaire « Bygmalion », portant sur les frais de sa campagne présidentielle de 2012.
Retiré de la politique depuis 2016 mais toujours très populaire à droite, un an avant le prochain scrutin présidentiel, Nicolas Sarkozy est sous forte pression judiciaire. Il est mis en cause dans plusieurs dossiers, dont celui portant sur des soupçons de financement libyen de sa campagne victorieuse de 2007.
C’est dans le cadre de cette dernière affaire que les juges avaient découvert, début 2014, l’existence d’une ligne téléphonique officieuse, ouverte par Thierry Herzog sous l’alias de « Paul Bismuth », pour communiquer avec l’ancien locataire de l’Elysée.
– Informations privilégiées –
Sur la base de conversations tenues sur cette ligne secrète, les juges ont estimé que l’ex-président s’était rendu coupable de corruption, en promettant d’appuyer la candidature de M. Azibert pour un poste de prestige à Monaco, en échange « d’informations privilégiées et confidentielles » et sur un pourvoi en cassation qu’il a formé.
L’ancien locataire de l’Elysée voulait alors faire annuler la saisie de ses agendas présidentiels après avoir obtenu un non-lieu dans l’affaire Bettencourt. Gilbert Azibert, avocat général dans une chambre civile, n’intervenait pas directement dans ce dossier mais il a selon le tribunal « accepté, moyennant une récompense, d’exercer une influence ou de laisser penser qu’il pouvait exercer une influence » sur les magistrats amenés à se prononcer.
Lors du procès qui s’est achevé le 10 décembre, la défense avait brocardé un dossier basé sur des « fantasmes » et des « hypothèses », plaidant à l’unisson la relaxe et fait valoir que Gilbert Azibert n’avait in fine jamais eu de poste à Monaco.
Dans une ambiance houleuse, la défense avait pilonné un dossier « poubelle », réclamant l’annulation de la totalité de la procédure, basée selon elle sur des écoutes « illégales » car violant le secret des échanges entre un avocat et son client.
Lundi, le tribunal a refusé de faire droit à cette demande, déjà tranchée par la Cour de cassation en 2016.
Les avocats des prévenus avaient aussi torpillé une enquête préliminaire parallèle menée par le PNF. Visant à identifier une éventuelle taupe ayant pu informer en 2014 Thierry Herzog que la ligne Bismuth était « branchée », elle a conduit à faire éplucher leurs factures téléphoniques détaillées (« fadettes »).
Elle a été classée sans suite près de six ans après son ouverture. A ce sujet, trois magistrats du parquet financier, notamment son ancienne cheffe Eliane Houlette, sont visés depuis septembre par une enquête administrative, dont les conclusions sont imminentes.
SOURCE : AFP