Il est 11h du matin, quand nous arrivons à la maternité de l’hôpital national Simão Mendes de Bissau pour accompagner un proche qui est en situation d’urgence. Après avoir confié la malade aux infirmières et aux sages-femmes, nous avons dû sortir acheter tout le nécessaire pour sa prise en charge (coton, compresses, gants, alcool, ciseaux, antibiotiques, seringues, poches de sang), mais aussi du matériel pour le nettoyage de la chambre qui lui a été assignée ainsi que la salle de bain attenante (balai, serpillière, eau de javel, etc.). Ceci n’est malheureusement pas une situation exceptionnelle.
Force est de constater que l’hygiène et la salubrité font cruellement défaut dans les structures de santé publiques en Afrique subsaharienne. Cela est d’autant plus préoccupant que ce manque d’hygiène et de salubrité peut être la cause d’infections nosocomiales, appelées aussi infections associées aux soins (IAS), qui sont des infections contractées au cours d’une hospitalisation pouvant aller des infections urinaires, aux infections respiratoires, en passant par les infections du sang, entre autres. Il en va donc de la santé des malades et des professionnels de santé, d’avoir un environnement sain et propre en milieu hospitalier, principalement en cette période de pandémie de COVID-19.
Un autre défi auquel les structures de santé sont confrontées est celui de l’accueil et l’écoute des patients. En Afrique de l’Ouest, le personnel soignant est souvent en proie à de nombreuses critiques liées au comportement et la relation avec les usagers. Un manque d’empathie ou d’attention est souvent pointé du doigt, principalement envers les usagers les plus défavorisés qui n’ont pas les moyens de fréquenter les structures privées de soins.
Ces défis sont structurels et requièrent, pour les relever, un engagement sérieux de nos dirigeants à mettre en place de profondes réformes prenant en compte les aspects financier, humain, infrastructurel, à un niveau national, voire régional. En parallèle, des mesures ciblées et concrètes peuvent être mises en place au niveau même des administrations des structures sanitaires afin d’améliorer le fonctionnement au quotidien des hôpitaux et centres de santé publics.
Doter les structures de santé de services de nettoyage avec une formation appropriée
Une étude réalisée en 2016 révèle une prévalence d’infections nosocomiales de 6,7 % au service de Chirurgie « B » de l’hôpital du point G et de 10,9 % au Centre Hospitalier Universitaire- CHU de Fann, à Dakar. En ce qui concerne la Guinée, des thèses de médecine ont été réalisées sur le sujet dans plusieurs services. Il a été rapporté une prévalence variant de 10 % à 19 % dans les services de réanimation et de chirurgie du CHU de Conakry ».
Face à ce constat, il faudrait doter ces structures de services d’entretien et de nettoyage ayant une expertise spécifique dans le traitement de déchets médicaux permettant ainsi d’éviter la contamination au sein même des établissements de santé. Les services d’entretien devraient être considérés comme un aspect clé du fonctionnement des hôpitaux et des centres de santé afin d’assurer l’hygiène et la salubrité et éviter toute propagation ultérieure de maladies.
Dans le document d’orientation de l’OMS intitulé « Nettoyage et désinfection des surfaces environnementales dans le cadre de la COVID-19» publié en mai 2020, il est indiqué que « la formation du personnel de nettoyage devrait être fondée sur les politiques et les modes opératoires normalisés de l’établissement de santé et sur les directives nationales. Elle devrait être structurée, ciblée et dispensée comme il se doit et constituer un élément obligatoire du programme d’initiation offert aux nouvelles recrues ».
La salubrité en milieu hospitalier passe également par une bonne hygiène des mains qui est fondamentale pour éviter les infections nosocomiales, la propagation de la résistance aux antimicrobiens et les autres risques émergents pour la santé, principalement dans un contexte de pandémie mondiale de COVID-19.
Toujours selon l’OMS, ces infections sont encore trop présentes en Afrique subsaharienne dues notamment au fait que « dans certains pays à faibles revenus, un agent de santé sur dix seulement pratique l’hygiène des mains de manière satisfaisante lors de soins dispensés à des patients très exposés aux risquex d’infections nosocomiales dans les unités de soins intensifs – souvent parce qu’il n’a tout simplement pas les moyens de le faire ». Il se pose donc la question de la disponibilité de produits désinfectants, mais aussi celle de l’approvisionnement en eau potable qui, très souvent, est un défi de taille auquel sont confrontées bon nombre de structures de santé publiques.
Améliorer l’accueil et l’écoute due aux usagers des structures de santé.
La satisfaction des patients est un des indicateurs pris en compte lors de l’évaluation de la qualité des soins dans une structure de santé au même titre que la disponibilité d’équipements de pointe, ou le nombre de professionnels de santé dans chaque service.
La dimension psychologique est donc tout aussi importante que la dimension curative proprement dite. Un patient bien accueilli dans une structure de soins se sentira plus en confiance et sera plus réceptif au traitement qui lui sera prescrit. Cependant, avec une capacité d’accueil extrêmement faible dans la majorité des pays d’Afrique de l’Ouest (2,3 médecins en Côte d’Ivoire pour 10.000 patients, 3,8 au Nigéria, 0,8 au Togo, 0,7 au Sénégal ou encore 1,3 en Guinée Bissau), il est en effet difficile d’assurer une prise en charge décente des patients.
S’il est vrai que certaines améliorations de la qualité de service due aux usagers sont tributaires de l’allocation et la bonne gestion des fonds destinés au secteur de la santé, il faut reconnaître que d’autres sont liées au comportement et à la responsabilité du personnel médical qui a le devoir de respecter l’éthique et la déontologie prônées par le Serment d’Hippocrate.
La pandémie de la COVID-19 a mis en lumière le travail acharné des soignants qui aux différents pics de l’épidémie pouvaient rester plusieurs jours de garde sans rentrer chez eux. Plusieurs hommages leurs ont d’ailleurs été rendus par les citoyens, les artistes les hommes politiques sur les réseaux sociaux ou dans les médias traditionnels ou encore des chansons leurs étant dédiées.
Cependant, de Dakar à Bissau, en passant par Conakry ou Bamako, les mises en cause de professionnels de santé pour des faits de négligence conduisant malheureusement à des décès de patients sont récurrentes et font bien trop souvent la une des médias nationaux, voire internationaux.
À l’occasion de la journée mondiale pour la sécurité des patients célébrée le 17 Septembre dernier sous le thème « soins maternels et néonatals sans risque, agir maintenant pour un accouchement sûr et respectueux ! », le Dr Moeti Matshidiso, directrice du Bureau régional de l’OMS pour l’Afrique informait que dans la région Afrique, tous les jours, 536 femmes meurent de causes liées à la grossesse et à l’accouchement et 6 700 nouveau-nés meurent de causes évitables. Lors de la cérémonie officielle de commémoration de cette date au Tchad, le Dr Eyong Efobi John, au nom du Dr Jean Bosco Ndihokubwayo, Représentant de l’OMS au Tchad affirmait que la plupart de ces décès, peuvent être évités si « les soins sont administrés avec compassion et respect par des agents de santé ayant les compétences pour réussir et dans des environnements propres et purs qui empêchent la propagation des maladies ».
Il est donc primordial d’introduire ou renforcer dans tous les parcours de formation initiale et permanente des personnels de santé, des médecins jusqu’aux agents d’entretien dans les hôpitaux, des sessions sur l’éthique professionnelle, sur la notion de service de qualité dû aux usagers, sur la relation d’aide et à l’écoute, notamment pour les patients souffrant de maladies mentales, sur le traitement équitable des usagers et sur la responsabilité individuelle en cas d’erreurs aboutissant à des drames dans les structures de santé, basées sur les réalités locales observées.
En parallèle il est nécessaire de mettre en place des mesures et réformes profondes permettant un meilleur suivi de la relation entre patients et soignants ainsi qu’un système de sanctions au cas où il est prouvé que cette relation a été défaillante à un moment ou à un autre de la prise en charge du patient.
En conclusion, les dirigeants en Afrique de l’Ouest doivent absolument consacrer plus de temps à la réflexion commune autour de l’amélioration des systèmes de santé à travers des débats publics impliquant tous les acteurs du développement (économistes, médecins épidémiologistes, urbanistes, formateurs, architectes, pharmaciens, etc.) mais aussi leur présence dans les espaces publics de prise de décisions dans le domaine de la santé.
Les citoyens, usagers de ces structures de santé, ont également un rôle essentiel à jouer, en dénonçant les mauvaises pratiques constatées dans les hôpitaux et centres de santé, et en créant des espaces (virtuels ou non) de discussion et de partage d’expérience en vue d’améliorer le fonctionnement des structures de soins en particulier et des systèmes de santé en général au bénéfice des populations.
Dan-Vieira da Costa
Chargée de Plaidoyer
West Africa Think Tank – WATHI