« L’implication du secteur privé dans le financement des infrastructures est incontournable », a affirmé ce lundi à Lomé, le chef de l’Etat Faure Gnassingbé à l’ouverture de la première édition du Forum Infra pour l’Afrique et de l’Assemblée générale annuelle des actionnaires d’Africa 50.
Cette rencontre de deux jours rassemble, dans le plus grand hôtel de la capitale togolaise, des leaders d’opinion des secteurs public et privé pour partager leur expertise sur l’investissement dans les infrastructures pour développer l’Afrique.
Etaient présentes à la cérémonie d’ouverture, plusieurs personnalités dont le Premier ministre Mme Victoire Tomégah-Dogbé, la présidente de l’Assemblée nationale, Mme Yawa Djigbodi Tsègan et le président de la Banque africaine de développement (BAD) Akinwumi Adesina.
Principal thème du forum : « Bancable, évolutif, reproductible ». Pendant deux jours, des réflexions seront menées autour de ce thème, en vue de baliser la voie aux solutions pouvant contribuer au développement d’infrastructures sur le continent.
«Le ralentissement économique mondial lié initialement à la crise pandémique du Covid-19 et renforcé depuis un an et demi par le conflit en Ukraine pèse lourdement sur les capacités budgétaires de nos gouvernements. Dans ces conditions, ma deuxième remarque sera que l’implication du secteur privé dans le financement des infrastructures est incontournable», a souligné Faure Gnassingbé.
«C’est le premier thème de ce Forum : +Be bankable+. Nous le savons tous, beaucoup se joue sur l’appréciation portée par les investisseurs sur l’environnement politique, sécuritaire, fiscal, économique ou encore monétaire du pays dans lequel ils vont investir. Mais il ne suffit pas de faire des réformes +pro-business+. Un partenariat avec l’État, autour de nouvelles politiques industrielles, est crucial pour attirer les capitaux étrangers», a-t-il précisé.
«Et c’est là ma troisième remarque : l’implication de l’État est nécessaire pour attirer des capitaux privés. D’aucuns ont longtemps répété qu’il suffisait de ne pas entraver la libre circulation des capitaux pour qu’ils répondent à l’ensemble des besoins en investissement partout sur la planète. Historiquement, cette approche n’a jamais tenu ses promesses», a relevé le président togolais.
Aujourd’hui, une grande partie de l’Afrique accuse encore un retard par rapport au reste du monde en ce qui concerne les infrastructures, notamment dans les secteurs de l’énergie, des télécommunications, et des transports routiers et ferroviaires.
Combler cet écart infrastructurel est non seulement important pour le développement de l’Afrique elle-même, mais aussi pour la communauté mondiale, car cela contribuerait à réduire la pauvreté, à renforcer l’intégration régionale et à atténuer le changement climatique.
Plusieurs thématiques seront développées dont l’une consacrée au Togo: « l’étoile montante africaine ». Créée par des États africains et la Banque africaine de développement (BAD), Africa50 vise à combler le déficit de financement dans les infrastructures africaines.
Elle a pour mission de mobiliser des financements des secteurs public et privé, de faciliter le développement de projets et d’investir dans les infrastructures sur le continent. Africa50 privilégie les projets de moyenne et grande envergure ayant un fort impact sur le développement de l’Afrique tout en proposant un rendement attractif aux investisseurs.
Africa50 a financé des projets représentant une valeur agrégée de plus de 5 milliards de dollars. L’initiative compte actuellement 31 actionnaires, dont 28 pays Africains, la BAD, la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et Bank Al-Maghrib.
Voici l’intégralité du discours de Faure Gnassingbé
Je voudrais avant toute chose vous souhaiter très chaleureusement et fraternellement- la bienvenue à Lomé, et vous dire combien nous sommes heureux que vous ayez choisi notre capitale pour accueillir l’Assemblée Générale Annuelle d’Africa50 et le Forum Infra For Africa.
Le Togo s’honore de son statut de terre de rencontres, d’échanges et d’opportunités, car c’est dans ces brassages que s’expriment notre aptitude à grandir ensemble et notre capacité à nous enrichir mutuellement.
Je vous invite donc à vous sentir chez vous et à tirer profit de ce séjour pour découvrir ou retrouver après le travail les charmes de Lomé et de ses environs.
La cérémonie qui nous rassemble ce matin m’offre l’heureuse occasion de célébrer la vision d’une Afrique unie et prospère, qui progresse par le travail de ses enfants. Cette vision, vous la traduisez chaque jour en engagements et en actions, cher Akinwumi Adesina.
Je ne pouvais avoir meilleure tribune que celle de cette rencontre de Lomé pour reconnaître encore une fois et pour saluer à sa juste mesure votre mérite remarquable dans la construction de cette Afrique laborieuse, productive et épanouie à laquelle nous aspirons.
Notre gratitude en tant qu’africains s’adresse également à vous, Monsieur le Directeur général d’Africa50.
À travers votre plateforme qui se distingue par l’efficacité et l’impact de ses interventions, vous administrez la preuve que notre continent est capable de générer des solutions endogènes, innovantes et pertinentes pour répondre aux défis de la croissance et du développement.
Africa50 s’est donnée comme mission fondatrice de combler le déficit de financement des infrastructures en Afrique.
Je dirais que le thème du Forum Infra for Africa s’inscrit donc parfaitement dans l’ADN de notre organisation. Au cours de ces deux prochains jours, nous aurons à cœur de rechercher des solutions viables et innovantes pour progresser sur la voie d’une « Afrique unie aux commandes de sa destinée ». Mais il faudra aussi rester attentifs à la nécessité de nouer des alliances internationales pour garantir la prospérité du continent au bénéfice de nos concitoyens.
1/ Comment se pose le problème ?
1.1/ Il y a d’abord un immense besoin d’infrastructures qui sont partout sur notre continent comme ailleurs la condition même du développement.
Sans routes, sans ponts, sans ports, sans aéroports, sans hôpitaux, sans écoles, sans centrales électriques, sans réseaux d’électricité, sans réseaux de communication, sans approvisionnement en eau il n’y a évidemment pas de développement possible.
En Afrique plus qu’ailleurs les besoins d’infrastructures sont considérables. Et les chiffres même très approximatifs sont impressionnants. Ainsi, il faudrait investir annuellement de plus de 100 milliards de dollars.
Au Togo, la question des infrastructures est au cœur de la Feuille de Route du Gouvernement. Mon pays a bien des atouts. Il possède, vous le savez, le port naturel le plus profond de la sous-région.
Pays longiligne, le Togo a vocation à être un hub logistique visant la desserte de l’hinterland et de ses pays voisins. Mais pour profiter de ces atouts, il faut des investissements massifs.
1.2/ Se pose alors la question de savoir comment financer ces investissements.
Cette question n’est pas nouvelle. Chacun d’entre nous, dans la responsabilité qui est la sienne, cherche depuis des décennies à naviguer entre le besoin de construction et d’entretien des infrastructures, la gestion des ressources budgétaires et la recherche de financements privés.
De surcroît, depuis quelques années, une nouvelle contrainte s’est invitée dans cette équation déjà complexe.
C’est qu’il nous faut aujourd’hui intégrer dans nos plans d’infrastructures un nouvel impératif. Les infrastructures doivent répondre au défi climatique, elles doivent devenir des «infrastructures vertes» ce qui, évidemment, en augmente le coût.
Je salue donc votre initiative de l’Alliance des infrastructures vertes. Aujourd’hui, la Banque Mondiale estime qu’en Afrique subsaharienne, le secteur public représente encore plus de 90% des investissements d’infrastructures. Cela signifie-t-il que les États vont être amenés continuellement à financer 95% des investissements à venir ? Je ne pense pas !
2/ Ceci me conduit aux cinq remarques que je voudrais faire devant vous.
2.1/ La première remarque est que la dépense publique ne sera pas suffisante pour atteindre nos objectifs de développement des infrastructures.
Chacun le sait, la situation actuelle comme les perspectives à moyen terme n’offrent aucun espoir d’amélioration significatif des capacités de financements publics. Le ralentissement économique mondial lié initialement à la crise pandémique du Covid-19 et renforcé depuis un an et demi par le conflit en Ukraine pèse lourdement sur les capacités budgétaires de nos gouvernements.
2.2/ Dans ces conditions, ma deuxième remarque sera que l’implication du secteur privé dans le financement des infrastructures est incontournable.
Or qui dit financements privés, dit retour sur investissement. Et qui dit retour sur investissement, dit construction d’un modèle économique viable.
C’est le premier thème de ce Forum : «Be bankable». Nous le savons tous, beaucoup se joue sur l’appréciation portée par les investisseurs sur l’environnement politique, sécuritaire, fiscal, économique ou encore monétaire du pays dans lequel ils vont investir.
Mais il ne suffit pas de faire des réformes «pro-business». Un partenariat avec l’État, autour de nouvelles politiques industrielles, est crucial pour attirer les capitaux étrangers.
2.3/ Et c’est là ma troisième remarque : l’implication de l’État est nécessaire pour attirer des capitaux privés.
D’aucuns ont longtemps répété qu’il suffisait de ne pas entraver la libre circulation des capitaux pour qu’ils répondent à l’ensemble des besoins en investissement partout sur la planète.
Historiquement, cette approche n’a jamais tenu ses promesses.
De fait, l’ouverture des marchés de capitaux n’a pas eu pour conséquence une réelle accélération des investissements des pays riches vers les pays pauvres.
Parfois, c’est même l’inverse qui s’est produit : les capitaux ont même fait marche arrière, selon le FMI qui s’est penché sur ce paradoxe.
C’est ainsi que les grands programmes de privatisations des années 90 ont montré que la qualité des institutions ne doit pas être négligée. Sans un cadre réglementaire stable et cohérent, l’ouverture aux capitaux peut se faire au détriment du climat des affaires.
Le marché ne saurait donc, à lui seul, créer un environnement «pro-business». Il est donc de notre responsabilité, en tant qu’acteurs politiques, de nous employer à garantir un espace économique stable, transparent et réceptif aux contraintes des opérateurs économiques.
2.4/ Ma quatrième remarque ira un peu plus loin. Nous assistons dans les pays du Nord à un retour en grâce du concept de politique industrielle. Alors osons le mot : il nous faut des politiques industrielles.
Les financements privés – que j’appelle de mes vœux – doivent entrer dans le cadre global de nos politiques de développement. L’accompagnement des fonds publics par les financements privés doit devenir plus fréquent. Ce n’est pas seulement un impératif budgétaire. C’est aussi un atout en matière de résilience. C’est ce que montrent, par exemple, les réseaux internet qui ont été très largement développés par des opérateurs privés ce qui explique aujourd’hui l’extrême résilience de ces infrastructures.
C’est dans ce partenariat fécond, autour de nouvelles politiques industrielles, que l’implication du secteur privé dans les infrastructures se construira en bonne intelligence avec les responsables publics concernés.
2.5/ Une cinquième remarque pour finir. Le partenariat entre le secteur privé et les pouvoirs publics ne sera fécond que s’il est rentable. Cette rentabilité dépend notamment de la capacité de faire évoluer la taille des projets en fonction de l’évolution des contraintes notamment financières. C’est le «Be scalable» qui constitue le deuxième thème de ce forum.
Elle dépend aussi de la standardisation des projets. C’est le troisième thème du forum : «Be Replicable». Cette standardisation permettra d’importantes économies d’échelle sur la construction comme sur le fonctionnement. Elle peut même s’appliquer aux études préparatoires qui sont un élément-chef pour la réalisation de projets efficaces.
3/ Pour conclure, je voudrais tendre la main à nos partenaires du développement. La nécessaire coopération entre financeurs privés et financeurs publics, comme l’engagement public à l’amélioration du climat des affaires, comme encore la définition de grands axes de stratégie industrielle ne peut se faire sans l’appui de nos partenaires institutionnels.
Je compte donc sur les partenaires du développement pour nous aider sur deux grands chantiers.
3.1/ D’abord, c’est un plaidoyer. Il faut qu’ils nous aident à préserver notre capacité d’investissement.
A un moment où beaucoup d’entre nous ont des dépenses sécuritaires très élevées, il faut que soit reconnue notre contribution à la sécurité collective. Et il faut que ceci se traduise par un appui à notre situation financière.
3.2/ Ensuite, il est important qu’en temps de crise les partenaires au développement s’impliquent davantage dans le de-risking des investissements privés, notamment à travers des garanties.
C’est là une condition pour que le partenariat public-privé soit porteur de belles opportunités.
Voilà, Mesdames et Messieurs quelques réflexions qui je l’espère alimenteront vos travaux dans le cadre de l’Assemblée Générale Annuelle d’Africa50.
Je vous remercie de votre attention.
Junior AUREL