La richesse cachée des nations, ou le rôle vital des eaux souterraines face aux changements du climat

Eaux souterraines

Les eaux souterraines sont essentielles à l’activité et à la croissance économiques, à la sécurité alimentaire, au développement socioéconomique et à l’adaptation aux effets du changement climatique.

Toutefois, la pérennité de cette ressource critique est menacée dans de nombreuses régions, entre autres parce qu’elle n’est pas appréciée à sa juste valeur et qu’elle est tenue pour acquise. Étant donné les pressions mondiales qui s’exercent sur les systèmes alimentaires et l’approvisionnement en eau, les responsables politiques doivent agir dès maintenant pour garantir une gestion responsable des eaux souterraines dans tous les secteurs qui dépendent de cette ressource.

Les nappes phréatiques sont notre principale ressource en eau douce, en particulier en période de sécheresse et, à mesure de l’aggravation du changement climatique, il est indispensable que les décideurs politiques s’attachent à mieux comprendre et gérer cette ressource essentielle.

Un nouveau rapport de la Banque mondiale se penche sur la valeur économique des eaux souterraines, sur les coûts d’une mauvaise utilisation et sur les possibilités de les exploiter plus efficacement.

Intitulé en anglais The Hidden Wealth of Nations: The Economics of Groundwater in Times of Climate Change, ce rapport décrit comment les eaux souterraines peuvent préserver la sécurité alimentaire tout en stimulant la croissance économique et la création d’emplois.

Cependant, dans la plupart des cas, cette ressource a été sous-évaluée et surexploitée, sans que l’on tienne suffisamment compte de sa préservation à long terme, ce qui s’explique en partie par l’absence de recherches systématiques sur son importance économique.

Partant de ce constat, le nouveau rapport fournit de nouvelles données qui prouvent qu’avec la mise en place de politiques adéquates, nous pouvons maximiser les bénéfices de l’exploitation des nappes phréatiques, aujourd’hui et à l’avenir.

La police d’assurance offerte par la nature

Les eaux souterraines constituent une sorte d’assurance «naturelle». Elles peuvent compenser un tiers des pertes de croissance économique mondiale dues aux sécheresses, tout en garantissant que les villes ne manquent pas d’eau pendant les périodes de sécheresse prolongées. 

Les eaux souterraines sont particulièrement importante pour le secteur agricole dont elle peuvent réduire jusqu’à la moitié des pertes de productivité causées par la variabilité des précipitations, contribuant ainsi à protéger les populations contre la malnutrition. Inversement, le manque d’accès à des nappes phréatiques peu profondes augmente de 20 % les risques de retard de croissance chez les enfants de moins de cinq ans.

Nous pouvons donc utiliser cette ressource pour poursuivre nos objectifs de développement collectifs. Par exemple, les pompes solaires associées à des mesures de protection adéquates peuvent améliorer l’irrigation à partir des eaux souterraines en Afrique subsaharienne, réduisant ainsi la pauvreté et protégeant les populations contre les chocs climatiques. 

Plus généralement, alors que les effets des modifications du climat s’intensifient, les eaux souterraines pourraient continuer à jouer un rôle crucial dans la préservation des écosystèmes sensibles qui séquestrent le carbone et dans la protection des communautés vulnérables contre les événements météorologiques extrêmes.

Une ressource mal gérée

L’épuisement des nappes phréatiques, la dégradation de la qualité des eaux souterraines et la concurrence croissante pour cette ressource menacent pourtant sa durabilité. De ce fait, les sociétés pourraient devenir encore plus vulnérables aux chocs climatiques.

Alors que certains pays n’exploitent pas suffisamment les eaux souterraines, d’autres en sont devenus trop dépendants. Déjà, 92 % des nappes aquifères transfrontalières du Moyen-Orient et d’Asie du Sud montrent des signes de tarissement.

En Asie du Sud, les eaux souterraines ont été profitables en augmentant les revenus agricoles d’environ 10 à 20 %, mais cet avantage diminue au fur et à mesure que la ressource se tarit.   

À l’autre bout du spectre, les eaux souterraines sont sous-utilisées en Afrique subsaharienne : plus de 255 millions de personnes vivant dans la pauvreté dans la région habitent dans des zones où l’exploitation des eaux souterraines peu profondes est possible. En utilisant cette ressource de manière responsable et en la valorisant de manière appropriée, la région pourrait améliorer ses rendements agricoles et faire progresser son développement. 

Les eaux souterraines doivent devenir une priorité politique

L’un des principaux messages du rapport est que les eaux souterraines doivent être considérées comme une priorité par les responsables politiques afin de garantir qu’elles soient utilisées d’une manière qui profite à la société, à l’économie et à l’environnement. Une action politique de haut niveau est nécessaire pour concilier les coûts privés et sociaux de l’utilisation des eaux souterraines.

Par exemple, des politiques ciblées et des réformes des systèmes de subventions peuvent garantir que l’expansion des énergies vertes et des investissements agricoles n’entraîne pas de surexploitation, de dégradation et de mauvaise gestion des nappes phréatiques et des écosystèmes qui en dépendent.  

L’aide publique à l’agriculture, qui s’élève à environ 635 milliards de dollars par an, influe sur le choix des cultures et de l’irrigation, et notamment sur la quantité d’eau puisée dans les nappes phréatiques. Cela signifie que des politiques agricoles soucieuses de la bonne utilisation des eaux souterraines et que des réformes des subventions sont nécessaires pour promouvoir la gestion durable de ces ressources. Ainsi, au Népal, le subventionnement et l’expansion de l’irrigation solaire ont conduit les agriculteurs à intégrer l’aquaculture à leurs moyens de subsistance. 

Par ailleurs, la baisse du coût de l’énergie solaire et l’accélération du passage aux énergies propres en général offrent aux décideurs la possibilité de prendre en compte la gestion des eaux souterraines dans leurs politiques, institutions et investissements écologiques.

Néanmoins, un accès plus large à des technologies solaires abordables pourrait accélérer l’utilisation des eaux souterraines pour l’irrigation et l’approvisionnement en eau, ce qui augmenterait le risque de surexploitation.

Une compréhension globale de ces interactions sur les objectifs de développement durable et de réduction de la pauvreté est essentielle pour évaluer les compromis nécessaires et guider les politiques. Enfin, les gouvernements doivent aussi déterminer précisément la nature de l’aquifère présent sur leur territoire, le degré d’utilisation des eaux souterraines et les besoins de protection de la qualité de cette ressource.

Naturellement, chaque pays devra tenir compte de sa situation propre dans ce domaine lors de l’élaboration de ses politiques.

Là où les eaux souterraines sont aujourd’hui sous-utilisées, en Afrique subsaharienne par exemple, il sera important d’améliorer la connaissance de la ressource et de donner la priorité à la pérennité des nappes locales peu profondes afin de soutenir l’irrigation, d’améliorer la sécurité alimentaire et d’atténuer les chocs climatiques.

Pour les pays qui utilisent des quantités modérées d’eaux souterraines, comme le Cambodge, le Nicaragua et la plupart des pays d’Europe de l’Est, une meilleure compréhension de la valeur de cet actif sera utile pour préserver sa qualité et sa pérennité.

Et là où les eaux souterraines sont surexploitées, comme dans une grande partie de l’Asie du Sud, du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, des actions supplémentaires seront essentielles, en particulier des programmes de développement des sources d’eau non conventionnelles et du stockage des eaux de surface, ainsi qu’une gestion améliorée de la demande.

Dans tous les cas, il est grand temps que les décideurs politiques accordent aux eaux souterraines toute l’attention qu’elles méritent. FIN

SOURCE : Banque mondiale