Les avortements clandestins sont également cités parmi les causes d’infertilité. L’avortement provoqué est souvent secondaire à une grossesse qui surprend la fille ou la femme. Au Togo, ces interruptions volontaires de grossesses sont souvent pratiquées dans de très mauvaises conditions.
Adjoavi (36ans, couturière et mère de deux enfants) regrette toujours son acte. « Je supporte seule les charges familiales. J’ai juste voulu travailler et faire un peu d’économie avant le 3ème enfant. J’ai donc pris des produits sur le conseil d’une amie qui a eu à le faire avec succès. Moi, je n’ai pas eu de chance, car je ne suis plus jamais tombée enceinte… Je vis avec ce remords depuis deux ans. J’ai fini par en être hypertendue », nous a-t-elle confié soulignant qu’elle est foncièrement contre l’avortement.
« La plus importante conséquence est l’hémorragie, première cause de décès chez la femme ou la mère au Togo. On peut également citer les infections et la stérilité », a expliqué Dr Abram Amétépé Agossou (directeur de la santé, de la mère et de l’enfant au ministère de la santé et de l’hygiène publique du Togo).
« C’est un gap de communication qu’il va falloir combler. Moi, mon épouse a développé des myomes suite à un avortement non sécurisé. Son ventre était comme celui d’une femme enceinte. Nous avons dépensé plus de 400.000FCFA pour une opération chirurgicale, avant qu’une grossesse ne soit rendue possible des mois plus tard. La contraception est moins coûteuse, mais beaucoup ne savent pas s’orienter », nous a expliqué Peter interviewé après un débat sur ces avortements criminels.
Un acte aux conséquences désastreuses
Les avortements non sécurisés représentent un défi de santé mondiale qui entraîne chaque année le décès d’approximativement 47.000 femmes et des séquelles graves chez 5 millions d’autres, et c’est la région de l’Afrique de l’Ouest qui est la plus touchée par ce problème.
Selon l’OMS, 4,2 millions d’avortement à risque sont pratiqués par an en Afrique avec près de 300 000 décès. 10 à 50% des femmes ont besoin de soins médicaux suite à des complications liées à un avortement. Plus de 1,8 millions d’avortements non sécurisés sont pratiqués chaque année en Afrique de l’Ouest, avec un taux de décès de 540 pour 100.000 avortements, ce qui représente de loin le taux le plus élevé au monde, selon la même source.
Selon Dr Toovi Madje Koffivi (médecin, DU en santé sexuelle et reproductive a L’Association togolaise pour le bien-être de la femme/ATBEF), plus de 18 millions d’avortements provoqués chaque année sont pratiqués par des gens qui n’ont pas les compétences nécessaires et/ou dans un cadre ne répondant pas aux normes médicales minimales, de sorte que le danger est réel.
« Entre 2015 et 2019, on a eu une moyenne de 73 millions d’avortements provoqués enregistrés dans le monde. Et presque tous les cas d’avortements à risque avaient été effectués dans des pays en développement », a souligné Dr Dougrou (directeur régional Afrique francophone/IPAS, une structure qui œuvre à l’accomplissement des droits de chaque femme en matière de santé sexuelle et reproductive).
Ces avortements clandestins sont la source de plusieurs anomalies dont l’infertilité. Au total 186 millions de personnes sont touchées par l’infertilité dans le monde.
Le Togo, pays signataire du protocole de Maputo (premier traité panafricain à reconnaître expressément l’avortement comme un droit humain dans des circonstances spécifiques, ratifié sous l’égide de l’Union africaine), dispose d’une loi sur la santé de la reproduction depuis 2007. Elle autorise le recours à l’avortement afin de protéger la vie et la santé de la femme, lorsque la grossesse résulte d’un viol ou d’un inceste, et dans le cas d’une malformation grave du fœtus. La loi spécifie que tous les avortements doivent être prescrits par un médecin, « un obstacle de taille dans un pays où il y a moins de 400 médecins » (selon Dr Toovi). En outre, cette loi est relativement méconnue, ainsi que les dispositions nécessaires à son application.
Rompre le silence sur les avortements clandestins
C’est une problématique très complexe et d’actualité. Le phénomène n’est pas négligeable et les médias ont donc un rôle important à jouer : lever le tabou, sensibiliser et appeler à l’action, afin de contribuer à la protection de la santé sexuelle et de reproduction de la jeune fille et de la femme et impliquer fortement les hommes.
Selon Peter (gestionnaire dans une banque), Il faut une « Minute Planning » dans les programmes de télévision. « Ma cousine est morte après avoir pris une pilule abortive. Sa mère ne voulait pas entendre parler de grossesse avant le mariage. Il faut aussi des efforts de sensibilisation, impliquant les mères et les jeunes filles, et même les garçons. Il faudra surtout assouplir les lois car, si une personne doit mourir suite à un avortement, autant œuvrer à ce qu’elle évite la grossesse, car la sexualité sera presque toujours précoce chez la plupart des jeunes filles ».
Face à un tableau inquiétant quoique silencieux, il est palpable que les actions de sensibilisation n’atteignent pas toutes les couches sociales. Les questions liées à la contraception, au retard du premier rapport sexuel, devraient être de tous les débats liés à la santé sexuelle de la femme et de la jeune fille. Concernant les pistes à renforcer, l’enseignement de la sexualité, l’éducation à la vie familiale et de parenté responsable devraient être promus dans les écoles primaires et secondaires, ainsi que les Droits en santé sexuelle et reproductive.
Et si on élargissait le cadre légal ?
Les pays plus libéraux en matière d’avortement sont des pays où il y a moins de décès. Donc l’élargissement du cadre légal est un facteur du recul de l’avortement illégal. Il faut donc mettre à disposition des soins sécurisés. Et il est temps que nos Etats prennent leurs responsabilités devant leurs engagements. Les Etats ont pris l’engagement à Maputo et les femmes doivent en profiter.
Pour Kossi Nateba (juriste), les gouvernements peuvent élargir l’accès à l’avortement sécurisé. « Il faudra harmoniser l’ensemble des lois de telle sorte qu’elles soient conformes à l’article 14 du Protocole de Maputo, lorsque celui-ci a été signé et ratifié, former les juges, les avocats et les personnes chargées de l’application des lois afin qu’ils comprennent le cadre juridique et permettent l’avortement dans tous les cas autorisés par la loi. S’assurer que les femmes ont accès à des procédures légales en toute sécurité, sans honte et évitant toute stigmatisation ». FIN
Ambroisine Mêmèdé