Le Colonel Pascal Tawès, officier des forces armées béninoises à la retraite, a été reçu mardi dernier au Palais présidentiel par le chef de l’État béninois Patrice Talon à qui il a exposé sa situation administrative pour son dénouement.
Admis à la retraite depuis octobre 2013, cet officier supérieur avait servi en 2011 aux États-Unis en qualité d’Attaché de défense.
Le président Talon a aussitôt instruit les services compétents, afin de faciliter le retour au bercail » du Colonel et de sa famille.
Cette audience a sonné comme un acte républicain fort du chef de l’État béninois, car dans un passé récent, le Colonel Tawès était l’un de ses virulents pourfendeurs, qui ne rataient aucune occasion pour le critiquer et le vilipender sur les réseaux sociaux.
« Je suis rentré chez moi, j’ai présenté mes respects et considérations au Président de la République », a déclaré l’officier supérieur dans une interview à la radio privée béninoise « Frisson ».
« Ce que je disais, c’était des propos tenus du dehors. C’est le terrain qui commande. Je me rends compte que ces propos ne méritaient pas d’être tenus », a-t-il ajouté.
Lire l’intégralité de l’interview (transcription : Gilles Grégory Gnimadi).
Question : Tout le monde est surpris de cette audience avec le président de la République. Comment avez-vous obtenu ce rendez-vous et quand avez-vous décidé de le rencontrer ?
Réponse : J’ai envoyé une demande écrite et j’ai eu l’honneur d’être reçu comme tout le monde. Je pense que le Président est disposé à rencontrer ses compatriotes.
Tout ce que vous avez dit récemment sur le président Talon, un commerçant qui gouverne uniquement pour ses intérêts, qu’il est là pour se servir… Vous avez retiré tout cela ? Monsieur Talon est maintenant fréquentable ?
J’ai un problème administratif avec l’Etat béninois. J’ai été envoyé aux Etats-Unis comme attaché de défense avec un visa d’un an renouvelable. Ça veut dire que l’ancien régime politique m’a envoyé aux Etats-Unis sur la base des préjugés tels que c’était fait. Ce n’était pas bien. Donc si j’ai eu à parler d’une manière ou d’une autre, il y a eu une montée de ton. C’est juste pour que l’Etat puisse intervenir pour un règlement diligent de mon dossier administratif. Lorsque le Président m’a fait l’honneur de me recevoir, j’ai saisi l’occasion pour lui présenter mes excuses et il a accepté mes excuses. Je considère tout ce qui a été dit, tout ce que vous avez entendu à droite et à gauche comme du passé.
Donc ce que vous disiez, vous ne le pensez pas à l’époque ?
Ce que je disais, c’était des propos tenus du dehors. C’est le terrain qui commande. Je me rends compte que ces propos ne méritaient pas d’être tenus.
Vos propos non seulement étaient violents, mais dépassaient parfois l’outrage. On peut même les qualifier d’appel à la sédition. Vous êtes un officier.
C’est votre point de vue. Je crois qu’au niveau du président, j’ai rencontré un responsable d’un niveau suffisant de compréhension. Il n’a pas considéré cela comme une faute grave. Vous savez qu’au niveau du Président lui-même, tout ce qui s’est passé aussi bien à l’intérieur qu’en dehors du territoire, il a considéré cela comme de l’incivisme. Il a considéré tout ce qui a été dit comme une montée de ton. Il m’a compris et il n’a pas de points d’ombre pour ça.
Beaucoup pensent que depuis votre cachette, vous êtes devenu quelqu’un qui avait des difficultés. Le colonel Tawès avait le dos au mur et est venu négocier pour rentrer tranquillement au Bénin ?
Sur la base de la liberté de penser, les compatriotes ont le droit de penser autrement. Moi par déformation professionnelle, j’ai le réflexe flexible de soumission à l’autorité établie. Je suis rentré chez moi, j’ai présenté mes respects et considérations au président de la République. Ce n’est pas parce que j’ai le dos au mur. J’ai fait mon devoir de citoyen. Je suis tranquille chez moi. J’ai reçu des directives pour gérer le quotidien dans l’amitié et dans la paix avec tout le monde.
On apprend que vous étiez aidé par le cabinet militaire du Président ?
Non ! Ce n’est pas une aide, ce n’est pas une assistance. De toutes les façons, le président Patrice Talon est le chef suprême des armées. Il m’a demandé de passer par le chef du cabinet militaire. C’est un passage obligatoire. Il n’y a rien de caché. Tout le monde peut faire comme moi, civil comme militaire.
Ce n’était pas un appel au secours ?
Non, c’est beaucoup plus une démarche citoyenne.
Les anti-Talon estiment que vous les avez lâchés ?
Arrêtez ! Je n’aime pas qu’on utilise mon nom à des fins difficiles à comprendre. Je n’ai pas de contrat de travail ni avec l’opposition, ni avec la mouvance. Le Bénin est trop petit pour qu’on se parle de manière discourtoise. Il s’agit de régler le problème entre nous par le respect réciproque. Ceux qui en font une interprétation tendancieuse, je ne les en veux pas.
Trop vieux, vous aspirez à être en retraite paisible. C’est ce que vous négociez ?
Pas négocier, mais que l’État prenne ses responsabilités. J’ai des préoccupations multiples et nécessaires. Il faut que l’État intervienne pour que je récupère ma famille. Je ne suis pas suffisamment vieux par rapport à d’autres. Je suis disposé à aller cultiver.
Colonel, où étiez-vous ces dernières années et d’où parliez-vous ?
J’étais sur le terrain.
C’est-à-dire ?
Le terrain, c’est le terrain.
Pas au Bénin ?
Non, la mobilité dans le pays et dans la sous-région. Vous savez au niveau de la CEDEAO, il y a la liberté d’aller et de revenir, voilà.
Vous aviez peur ? Vous pensiez que vous étiez recherché ?
Il y a des mesures conservatoires qui n’ont rien à voir avec un recherché.
Vous aviez décidé de prendre des mesures conservatoires. Est-ce à dire que vous avez décidé de vous protéger ?
Oui, c’est-à-dire se méfier des malfrats et de ceux qui cherchent à nuire à autrui de manière criminelle.
Ce n’est pas plutôt pour votre attitude ?
Non.
Il y a eu récemment des affaires qu’on a appelé affaires d’atteinte à la sûreté. Le président a parlé d’actes de déviance. Certaines personnes vous ont cité ou soupçonné d’être mêlé à cette affaire ?
Non je ne suis pas concerné.
Il y a eu des gens qui ont été arrêtés que vous connaissez ?
Non, on peut aborder les questions de défense avec la tête froide.
Vous n’êtes pas mêlé à des affaires de coup d’Etat manqué ? L’idée n’a même pas germé dans votre tête ?
D’abord le pays n’a jamais connu un coup d’Etat en dehors de celui du 26 octobre 1972. Le président Kérékou avait dit qu’après 26 octobre, il n’y aura plus jamais de coup d’Etat au Bénin. Le Président Patrice Talon a témoigné qu’il y a eu des actes d’incivisme. Donc ceux qui parlent de coup d’Etat, cela n’engage que leur propre responsabilité dans ce genre d’affaires.
Pourquoi on vous citerait ?
C’est le droit de n’importe qui de chercher à dire ce qu’il veut.
Et ceux qui vous accusent ?
Je n’en veux pas à ceux qui me citent si ça peut les aider, tant mieux.
Certains disent que vous êtes un officier qui a du mal à s’accommoder avec la démocratie, votre mutinerie au camp Kaba de Natitingou sous le président Soglo.
Non, ce qui s’est passé au camp Kaba, c’était une démarche administrative. Avant de prendre le commandement, les autorités militaires et paramilitaires étaient informées par des messages. Tout le tapage qui a été fait autour de cette histoire-là, on doit en faire table rase. De toutes les façons, tout le monde vit, on peut ensemble aller saluer, présenter nos respects à l’ancien président Soglo. C’est plutôt un montage politique qui ne s’explique pas. Je n’en veux à personne. Mais, évitons de nous diaboliser. Allons ensemble, vivons ensemble, parlons-nous ensemble les uns et les autres, soyons en paix.
Vous voulez rendre compte de ça ?
Il n’y aucun compte rendu à faire. Nous devons nous pardonner les uns et les autres. Moi j’ai déjà tout pardonné et je n’ai pas besoin de pardon de quelqu’un. De toutes les façons, s’il a des détails, je suis disposé à recevoir mes visiteurs au village.
Vous n’avez aucun regret sur ce que vous aviez fait au camp Kaba de Natitingou ?
Non, on a pris une unité après avoir informé les chefs militaires. Ceux qui se sont agités, c’est eux qui doivent regretter. Je suis fier d’avoir fait cela. Certains en ont fait une démarche dissuasive pour appeler les autorités à être regardant en vers l’instruction militaire, C’est tout.
Vous parlez de réconciliation, donc après votre audience avec le président, c’est fini ? C’est le silence désormais ?
Non, je suis actif sur le terrain humanitaire. Je souhaite le faire si longtemps que je pourrai vivre.
Vous êtes un opposant à Monsieur Talon?
Non. Le Président Patrice Talon a été élu. Je ne sais pas pourquoi être opposant à Talon. Être opposant à un élu, c’est comme si vous vous opposez au Bénin. Je respecte l’autorité établie.
Vous n’êtes pas opposant donc vous êtes un soutien de Monsieur de Talon ?
De l’autorité qui est établie. Aujourd’hui, c’est lui et demain n’importe qui est là, a besoin du soutien, du service en particulier de l’armée. Donc pour avoir été soldat de l’armée de la République, je suis plus disposé à servir l’État et toutes les autorités établies depuis le président, jusqu’au chef de village.
Qu’est-ce que vous avez obtenu après cette audience ?
Le président de la République m’a donné des conseils, des directives nécessaires pour le règlement diligent de mon dossier. Des instructions, des directives ont été aussi données aux structures qualifiées pour que cette affaire soit réglée en procédure d’urgence.
Qu’est-ce que vous voulez vraiment ? Qu’on rapatrie votre famille ou l’Etat vous doit de l’argent ?
Non, c’est beaucoup plus un dossier classique. Ce n’est pas une plainte pour demander des sous. Mais, c’est carrément une démarche purement administrative.
Vous vivez de quoi aujourd’hui ?
De la pension. Et je suis en train de renforcer mon Ong.
Colonel, on dit que vous êtes un officier (excusez-moi) un peu tête ferlée, un peu versatile. Là, vous êtes rentré définitivement dans les rangs ?
On verra ça dans les détails lorsqu’on se reverra dans mon village.
Colonel Merci d’avoir parlé à la radio frisson
C’est à moi de vous remercier.
Transcription, Gilles Grégory Gnimadi