Face à la pandémie du coronavirus, les autorités togolaises ont mis en place un certain nombre d’organes, dont le Conseil Scientifique créé par décret présidentiel du 02 juillet 2020, pour gérer au mieux cette crise sanitaire.
Par ce temps où la vaccination contre cette maladie est annoncée dans certains pays comme les États-Unis et le Royaume Uni, il est opportun de jeter un regard sur les missions de cet organe et les activités menées à ce jour.
Dans un entretien exclusif, Pr. Didier Koumavi Ekouévi, Médecin Épidémiologiste, Chef du Département de Santé Publique à la Faculté des Sciences de la Santé (FSS) de l’Université de Lomé (UL), répond à l’ensemble de ces préoccupations.
Il éclaire aussi sur la contribution de ce Conseil à la lutte et sur les difficultés rencontrées dans l’atteinte de ses missions.
Togo- Presse : Présentez-nous Professeur le Conseil Scientifique?
Pr. Didier Koumavi Ekouévi : Le Conseil Scientifique COVID-19 est un organe qui a été créé par décret de la présidence de la république pour participer à la riposte contre la COVID-19. Un Conseil Scientifique peut être défini comme un groupe de spécialistes qui se réunissent pour discuter d’un problème de santé (ici d’une pandémie) à la lumière des données scientifiques disponibles et donner un avis sur des orientations à prendre pour la contrôler ou l’éliminer.
Spécifiquement, dans le cadre de cette maladie, il s’agit de donner des avis sur les orientations à prendre pour une riposte efficace contre la pandémie de la COVID-19 au Togo.
Le Conseil Scientifique est composé de neuf membres de diverses spécialités : santé publique et épidémiologie, maladies infectieuses, cardiologie, pneumologie, pharmacie et bactériologie virologie.
Le Conseil Scientifique comprend des spécialistes, mais également des représentants de l’ordre national des médecins et pharmaciens du Togo et un représentant du secteur privé.
Quelles sont les missions de cette structure ?
Le Conseil Scientifique est chargé d’analyser la situation sur la COVID-19 au Togo, de donner des avis périodiques en fonction de l’évolution des connaissances scientifiques sur la maladie.
En somme, le Conseil Scientifique ne prend pas de décisions, mais aide à la prise de décisions. Il éclaire les politiques sur les orientations à prendre pour une riposte efficace.
Les avis rendus par le Conseil Scientifique ne lient pas le gouvernement.
Le Conseil Scientifique est dépourvu de fonction opérationnelle donc n’est pas sur le terrain, même s’il a besoin des informations du terrain pour faire l’analyse de situation.
Il faut signaler que le travail réalisé par le Conseil Scientifique est un travail de bénévolat.
Les membres du Conseil Scientifique ne reçoivent pas de rémunération, de primes de transport ou de communication, selon l’article 9 du décret portant création du Conseil Scientifique COVID-19 au Togo.
Quelles sont les activités réalisées à ce jour ?
Le Conseil Scientifique a émis plusieurs avis (15 au total), participé à la rédaction de différents protocoles sanitaires. Ces protocoles sanitaires portent, notamment :
• Prise en charge thérapeutique des patients atteints de la COVID-19 ( avril 2020)
• Reprise des activités scolaires (juin 2020 et octobre 2020)
• Ouverture de l’Aéroport International Gnassingbé Eyadèma (juillet 2020),
• Réouverture des lieux de culte (octobre 2020)
• Disposition pour limiter la propagation pendant les fêtes de fin d’année (décembre 2020)
• Révision des critères de guérison et de levée d’isolement (décembre 2020) Régulièrement, nous faisons un bilan sur la gestion globale de la riposte avec des propositions de solutions pour un meilleur contrôle de l’épidémie.
Nous sommes donc une force de propositions et d’analyse pour la riposte contre la COVID-19. Il faut dire en outre que l’apport du Conseil est purement scientifique (ne joue aucun rôle opérationnel). Il fournit une analyse objective de la situation épidémiologique de la COVID-19 et propose à chaque fois les orientations qui seraient les meilleures, et seules les autorités politiques prennent la décision finale.
Cependant, dans la gestion de cette crise, il y a une troisième composante qui joue un rôle central : il s’agit de la communauté ou la population qui doit accepter les décisions prises par le politique.
Sans l’adhésion de la communauté aux orientations stratégiques prises par le gouvernement, cette lutte sera vaine.
Quelles sont les difficultés rencontrées dans l’atteinte des missions qui lui sont assignées ?
Les difficultés sont de deux ordres : les difficultés liées à la maladie elle-même et les difficultés extrinsèques à la maladie.
Comme difficultés liées à la maladie, il y a l’insuffisance des connaissances sur celle-ci, qui est une nouvelle maladie (maladie émergente). En effet, les connaissances sur cette affection évoluent chaque jour et il y a toujours nécessité de faire des mises à jour et de se réadapter.
Les scientifiques que nous sommes, n’avons pas toutes les réponses et nous ne sommes pas tous d’accord sur un sujet.
Nous devons alors rester humbles face à cette épidémie, face à ce virus. Les vérités d’aujourd’hui ne sont peut-être pas celles de demain.
Parmi les difficultés extrinsèques à la maladie, notons la quasi-inexistence de données issues de la recherche en Afrique, ce qui nous pousse à nous appuyer majoritairement sur ce qui est décrit chez les patients suivis dans les pays développés (Chine, France, États-Unis, Italie).
Ainsi, nous ne disposons pas de grandes bases de données nationales avec des données cliniques et biologiques pouvant nous permettre une analyse épidémiologique rapide et périodique pour aider à la prise de décision à partir de l’expérience togolaise.
Le Conseil Scientifique fait face également à d’autres difficultés telles que :
• L’absence d’un secrétariat scientifique pour nous aider dans le tri des publications scientifiques et une revue critique des publications existantes sur la maladie ;
• Le manque de temps et la nécessité d’agir souvent dans des délais courts. En effet, vu l’urgence de la situation, il est normal que le politique et la communauté veuillent une réponse rapide et immédiate à la pandémie.
Cependant, la science nécessite bien souvent plus de temps et de recul pour une prise de décision.
Chaque avis et orientation peut affecter la vie de millions de Togolais non seulement sur le plan sanitaire, mais également économique, voire psychologique.
La pandémie de la COVID-19 pose continuellement ce défi de pouvoir concilier science et politique pour le grand bien des populations.
Peut-on avoir l’avis du Conseil sur la vaccination d e s populations contre la COVID-19 ?
Nous ne sommes pas encore à ce stade. Les premiers vaccins sur le continent africain devraient être disponibles vers le 2e semestre 2021 ou le premier semestre 2022 si toutes les conditions sont réunies. Pour le moment, le Togo a adhéré à la plateforme COVAX qui est une initiative codirigée par Global Alliance Vaccine Initiative (GAVI), la Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies (CEPI) et l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Son objectif est d’accélérer le développement et la fabrication des vaccins contre la COVID-19, et de garantir un accès juste et équitable pour tous les pays du monde.
Pour les scientifiques togolais, il s’agit d’écrire notre plan d’introduction du vaccin en pesant les avantages et inconvénients des différents vaccins, de définir les populations à vacciner en priorité, de surveiller les effets indésirables décrits avec les vaccinations de masse qui ont commencé dans les pays développés.
Le vaccin restera bien entendu la stratégie qui permettra de contrôler totalement le virus en plus du respect des gestes barrières.
Et dans le cadre de la pandémie actuelle qui se propage rapidement, personne ne sera en sécurité tant que le monde entier ne le sera pas.
Propos recueillis par Françoise AOUI (Togo Presse)