« J’ai signé le 26 mai, au nom de l’UFC, un accord politique pour une participation à un gouvernement de redressement national, dans un esprit de partage du pouvoir avec le Rassemblement du peuple togolais (RPT, l’ancienne appellation du parti au pouvoir) », avait déclaré le 26 mai 2010 Gilchrist Olympio, lors d’une conférence de presse.
« Au terme de l’accord, l’UFC entrera au gouvernement, participera à la formation des cabinets ministériels, désignera des responsables pour les administrations centrales, les sociétés d’État, les préfectures, les mairies, les ambassades, etc. », avait-il ajouté.
M. Olympio avait affirmé ce jour, avoir pris un « engagement historique devant le peuple après avoir longuement réfléchi sur les causes réelles de la crise profonde qui mine le pays depuis des décennies ».
Dix ans après, que peut-on réellement mettre à l’actif de cet « accord de la paix des braves » ?
Isaac Tchiakpè(conseiller du bureau directeur de l’UFC), dans une interview exclusive accordée à l’Agence Savoir News, répond.
Savoir News : 26 mai 2010 – 26 mai 2020 : Déjà dix ans pour l’accord UFC/RPT (actuelle UNIR). Avez-vous le sentiment qu’un « petit pas » a été franchi au Togo, grâce à cet accord de « partage de pouvoir ».
Isaac Tchiakpè : Il faut d’abord se replacer dans le contexte de la signature de l’accord pour apprécier les pas qualitatifs et quantitatifs que cet accord a apporté à notre pays et ses retombées pour les populations. Ce compromis historique n’était que l’épilogue de longues et parfois laborieuses négociations entamées depuis 2003 par l’UFC et ses cadres avec le parti au pouvoir, le RPT.
Sur le plan diplomatique, il y eu la reprise de la coopération internationale, le Togo a reçu la visite du secrétaire d’état américain Mme Hillary Clinton et du vice-ministre allemand des affaires étrangères, le Togo a été élu comme membre non permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU.
Sur le plan économique, cet accord a instauré un climat de confiance favorable à l’investissement étranger.
En effet, le Togo a renoué avec les partenaires au développement et les Institutions de Breton Wood ; cela a permis la reprise de l’aide au développement. Ainsi, notre pays a pu bénéficier d’un allègement important de sa dette extérieure (82%). Ce qui a aussi permis de remettre en état nos infrastructures routières, la construction d’un nouvel aéroport, le 3ème quai du port et le terminal à conteneur de Lomé etc…
J’estime que le plus grand pas est l’esprit qui a animé les deux grands partis lors de la signature de l’Accord et qui est pérenne : créer les conditions d’une alternance pacifique en instaurant une culture du compromis, de la discussion et du débat démocratique.
Cette culture permet de créer un certain degré de confiance entre les parties et une forme de respect. Nous voulons décadenasser la pensée et les identités politiques figées et sclérosées. Car ce qui est en jeu, c’est de construire un vivre ensemble qui fonde en même temps notre pacte social et politique.
Pour certains observateurs de la scène politique togolaise, cet accord n’a fait « qu’enterrer » l’UFC, ancienne principale force de l’opposition. Qu’en dites-vous ?
Un revers électoral n’invalide pas le projet dont nous sommes porteurs. Nous sommes les aînés de la scène politique togolaise. Nous avons donc une légitimité historique à nulle autre pareille : notre parti politique est l’héritier d’une longue tradition idéologique, et il s’enracine dans l’Histoire nationale.
Chaque parti politique doit donc être comptable de cet héritage historique. Cela ne fait pas pour autant de cet héritage un dogme rigide. En effet, c’est le travail de refondation et des évolutions idéologiques inévitables pour s’adapter au monde que nous avons entrepris et qui nous projette dans la durée afin d’être en mesure de compétir à armes égales avec le parti au pouvoir qui a une très forte expertise, des moyens et des hommes.
Prendre conscience de ses faiblesses et apprendre de ses erreurs est le début de la réussite.
Du reste, même réduits à une « portion congrue » comme le disent les déclinologues, nous restons une force de propositions et nous faisons en sorte que nos propositions soient des propositions d’avenir.
Ainsi, un volet du programme de société que nous avons présenté à nos concitoyens durant la campagne législative de 2018 a prospéré avec le programme Novissi du gouvernement.
La solidarité est la pierre angulaire de notre vision sociale ; nous nous étions engagés devant l’opinion publique nationale- conférence de presse pour la présentation de notre programme de campagne le 3 décembre 2018, présentation de notre programme électoral à la Télévision togolaise les 4, 10 et 17 décembre 2018, dans Togopresse les 4,10 et 17 décembre 2018, ainsi que sur Radio Lomé et Radio Kara les 4,5, 10,11,15, 17 décembre 2018)- à mettre en place une Agence Nationale de Solidarité Sociale (ANSS) qui offrira une sécurité de revenu aux citoyens et familles à faible revenus. Ainsi, tout citoyen âgé de 25 à 60 ans sans emploi percevra une aide mensuelle minimale de 25.000 F.CFA.
Aux citoyens de plus de 60 ans sans autre source de revenu, une allocation mensuelle de 50.000 F.CFA sera versée. Pour les prestataires d’une pension dont les revenus sont inférieurs à 50.000 F.CFA par mois, l’allocation couvrira la différence.
A l’époque, cette proposition avait fait sourire. Or, la crise économique induite par la crise sanitaire du Covid-19 a relancé dans le monde, le débat en faveur du revenu universel.
J’apprends qu’un économiste britannique Guy Standing affirme que cette prestation sociale ira de soi dans l’économie du futur comme l’ont été la construction des routes au XIXe siècle ou la création des bibliothèques au XXe.
Guy Standing estime que ce revenu sortira de la grande pauvreté les bénéficiaires comme l’ont démontré des expériences pilotes réalisées au Canada ou en Inde.
Nous travaillons loin des estrades et des tréteaux et, nous sommes assurés que ce temps du labeur patient et sérieux est notre meilleur allié pour parvenir au pouvoir.
Quel avenir pour l’UFC, étant donné que ce parti s’est pratiquement vidé de ses cadres ?
D’autres ont prétendu que c’est la crème de l’UFC qui est partie. Les plus fielleux affirment que l’UFC est une coquille vide ! Mais alors, ces cadres que vous évoquez, de quels mérites peuvent-ils se prévaloir aujourd’hui ? Ont-ils fait avancer, depuis leur départ de l’UFC, la cause du Togo, des Togolaises et des Togolais ?
Parfois, les ruptures et les séparations sont des sources de régénérescence. Je le répète, nous sommes engagés dans une démarche de long terme qui implique la formation des hommes, la consolidation des structures du parti et une véritable stratégie de conquête du pouvoir.
Prenons date pour ce qui concerne l’avenir de l’UFC !
Ne pensez-vous pas qu’il est temps pour Gilchrist Olympio de passer rapidement la main ?
La retraite politique est un choix personnel, mais je sais par expérience qu’un homme politique n’abandonne pas la scène. Il y a chez les hommes engagés en politique, un sentiment du devoir qui les détermine à l’exercice de leurs responsabilités jusqu’à la dernière limite naturelle.
Me Yawovi Agboyibo est décédé samedi à Paris. Que retenez-vous de l’homme?
Je salue avec déférence la mémoire de maître Agboyibo qui fut le précurseur de cette culture du compromis qu’il déclinait en politique de cogestion.
C’était un homme charmant et charmeur. Il aimait convaincre et appréciait le commerce des politiques intelligents et habiles.
Me Agboyibo, très tôt, a mis en garde la classe politique togolaise sur les dangers et l’impasse des stratégies de confrontation avec le pouvoir en place. Cher maître, merci pour cet engagement constant pour le Togo, merci pour vos inspirations. Nous tenons aussi de vous. J’adresse mes condoléances à sa famille biologique et politique.
Je prie afin que la miséricorde divine apaise les douleurs de sa famille. FIN
Propos recueillis par Junior AUREL