Plusieurs centaines de milliers d’élèves ont repris le chemin de l’école lundi dernier. Contrairement aux années précédentes, l’année scolaire 2018-2019 s’est déroulée sans grèves ni incidents pouvant paralyser le déroulement normal des cours. La rentrée du 16 septembre s’est effectuée sous les mêmes auspices.
Comment préserver ce climat, quels sont les engagements du gouvernement pour améliorer les conditions de travail des enseignants ? Sur ces questions et sur bien d’autres, le Ministre de la Fonction publique, du Travail, de la Réforme administrative et de la Protection sociale, Monsieur Gilbert Bawara a bien voulu répondre à Focus Infos. Entretien exclusif !
Focus Infos : La rentrée scolaire 2019-2020 vient de démarrer au Togo. Comment l’envisagez-vous pour les acteurs du secteur éducatif en général, et plus spécifiquement pour les enseignants ?
Gilbert Bawara : Je me garderai bien de me prononcer et de parler au nom de la totalité des acteurs et partenaires de notre système éducatif. Cela confinerait à une attitude prétentieuse et une forme de suffisance et de mépris. En revanche, je puis vous affirmer et rassurer qu’à l’orée de cette rentrée scolaire, le gouvernement est animé par un sentiment de confiance et d’optimisme mais aussi d’humilité et de responsabilité. L’école, l’éducation et l’encadrement de nos enfants et de notre jeunesse constituent une priorité fondamentale et même une cause nationale dont l’enjeu dépasse toute forme de clivages partisans et de considérations politiques. Personne n’a intérêt à l’échec de l’école, échec au sens strict comme au sens large.
Les acteurs de notre système éducatif, spécialement les enseignants, savent notre disponibilité de tous les instants. Ils connaissent la volonté d’écoute, de dialogue et de concertation qui nous a toujours animés et guidés ces dernières années. Grâce justement au dialogue, un protocole d’accord sans précédent relatif au secteur de l’éducation a été mis en place depuis avril 2018. Ce protocole oblige tous les acteurs du système éducatif à privilégier en toutes circonstances, la concertation et, à prémunir le milieu éducatif de tous actes et agissements susceptibles de porter préjudice au bon déroulement des activités scolaires et pédagogiques.
Mieux, des efforts considérables ont été consentis par la collectivité nationale et les pouvoirs publics pour répondre de manière progressive et globale aux problèmes et difficultés qui ont souvent miné l’éducation togolaise. Ainsi, d’énormes moyens et ressources ont été mobilisés en faveur du secteur éducatif. De tous les secteurs sociaux, l’éducation est celui qui a bénéficié le plus de moyens et de ressources sur le plan national, notamment des rémunérations, des primes et indemnités. Mais beaucoup reste à faire, et nous continuerons agir pour améliorer la situation en nous attaquant, de manière résolue et cohérente, à tous les défis qui se posent.
Au cours d’une rencontre présidée par le Premier Ministre entre les membres du gouvernement et toutes les parties prenantes du secteur éducatif togolais, il a été relevé le calme et la sérénité qui ont caractérisé l’année scolaire 2018-2019. Quelles ont été la recette et la méthode pour passer de plusieurs années académiques successives sur fond de crises à répétition à une année plutôt calme ?
Par le passé, il y a eu des malentendus et des incompréhensions avec des conséquences déplorables. Certaines scènes qui se sont produites au sein des établissements scolaires et leurs abords ou parfois dans les rues ont été traumatisantes pour les enfants et les parents d’élèves. Ces scènes sont inacceptables. L’école doit demeurer un lieu d’éducation et d’apprentissage des valeurs vertueuses, un milieu protecteur et épanouissant. Elle doit donc être sanctuarisée en quelque sorte et placée à l’abri de toute agitation ou violence.
Le gouvernement a tiré de précieux enseignements de ce passé. Au plus haut niveau de l’Etat, le Président de la République Faure Gnassingbé est constamment soucieux de la paix sociale, de la stabilité et de la cohésion dont notre pays jouit si heureusement et que nous devons préserver absolument. Il en va de l’attractivité de notre économie, de la réussite des politiques publiques de développement et même de la quiétude des populations.
Aujourd’hui, il existe indéniablement une prise de conscience collective de tous les acteurs du système éducatif sur l’impérieuse nécessité d’éviter d’agir d’une manière qui compromettrait l’avenir des enfants et de la jeunesse, relève de demain. C’est pourquoi, en termes de méthode, le gouvernement privilégie une approche globale et holistique.
Les défis et problèmes du secteur de l’éducation sont examinés de façon globale; et les solutions à y apporter sont également conçues dans une optique globale et durable. On ne fait pas avancer et évoluer le système éducatif en abordant la question de manière sectaire voire fragmentaire et parcellaire. Tous les aspects du système éducatif se tiennent et sont interdépendants. Les besoins en matière de réhabilitation et de modernisation des infrastructures, des équipements et matériels scolaires et didactiques adéquats, d’effectifs, de formation et de perfectionnement des personnels enseignants et d’encadrement et de rémunération, entre autres, doivent être traités concomitamment.
Mieux, les questions éducatives et scolaires ne peuvent être dissociées des autres défis du pays. Sans croissance économique, pas de ressources adéquates pour répondre aux besoins de l’éducation. Sans un climat de paix et de stabilité, presque rien n’est possible. Un enseignant qui vit et travaille dans une localité peu ou mal desservie en eau, en services de santé et en électricité, ne pourrait donner le meilleur de lui-même et exercer sa profession que dans des conditions optimales et convenables. Un renchérissement des prix des produits agricoles rendrait dérisoires les salaires et émoluments, même revalorisés. Donc nous devons cultiver davantage l’esprit de cohésion, d’équité et de solidarité et agir en frères et sœurs liés par un destin collectif. Cette vision et cette approche ont été pour beaucoup dans les évolutions positives constatées ces dernières années, sans oublier la contribution déterminante des organisations syndicales, des parents d’élèves et des mouvements associatifs qui œuvrent dans le secteur de l’éducation à l’instar de la Coalition nationale togolaise pour l’éducation pour tous. Nous pouvons donc parier avec confiance sur la pérennisation de cette atmosphère d’accalmie et de sérénité dans le monde scolaire. Et continuer d’y travailler sans relâche.
Les représentants syndicaux des enseignants notent des efforts et une avancée dans l’exécution de chacun des 10 points du Protocole d’accord signé en 2018. Ils relèvent tout de même des points de non satisfaction : la proclamation des résultats du concours de recrutement des enseignants, le problème de reliquat de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale et de la Caisse des Retraites du Togo, la lancinante question du sort des enseignants évoluant dans le confessionnel et autres. Quelles réponses apportez-vous à ces sujets ?
Nous ne résoudrons pas tous les problèmes et défis du secteur de l’éducation du jour au lendemain si nous voulons le faire de manière sérieuse et durable. C’est dans le temps et dans la durée qu’il faut investir. Depuis la signature du protocole d’accord, en avril 2018, l’essentiel des mesures préconisées a été exécuté et les efforts se poursuivent.
La récente rencontre et les échanges entre le Premier Ministre et tous les acteurs et partenaires du système éducatif ont permis de faire le point de l’état de mise en œuvre de ce protocole, de constater les avancées réalisées et de s’accorder sur les efforts à poursuivre. Lors de mes échanges réguliers avec les partenaires sociaux, notamment les fédérations des syndicats des enseignants et les centrales syndicales, j’ai eu à les édifier sur les raisons ayant entraîné quelques difficultés et retards dans l’application complète de certains points et dispositions du protocole d’accord.
Concernant le dernier concours de recrutement des enseignants, les résultats seront connus incessamment au cours des prochains jours. Avant la fin de l’année, le gouvernement étudiera avec les partenaires sociaux, les arbitrages à opérer en fonction des prévisions de ressources budgétaires.
Et si tout le monde venait à s’accorder sur l’impérieuse nécessité de continuer à résorber les déficits d’effectifs en personnels enseignants, il devrait alors être possible de lancer un autre concours de recrutement dans la foulée.
Pour ce qui est du remboursement des cotisations et prélèvements opérés dans les années 1990 sur les émoluments de certains enseignants auxiliaires avant leur reversement dans le cadre des fonctionnaires, à ce jour, plus de cinq mille enseignants, leurs ayants droit ou ayants cause ont perçu leurs paiements pour près de 800 millions Francs CFA. Conformément à la volonté affichée par le Premier Ministre et à l’engagement qu’il a annoncé, les 610 enseignants retardataires, leurs ayants droit ou ayants cause bénéficieront également de leurs remboursements d’ici à la fin de cette année.
Pour ce qui est de l’enseignement privé confessionnel, l’Etat a procédé en 2019 à une amélioration sensible de la subvention accordée à ce secteur. Ceux des enseignants du confessionnel qui émargent sur le budget solde de l’Etat ont déjà bénéficié de l’indexation de l’indemnité forfaitaire de 20.000 francs CFA, ce qui se traduira par une nette amélioration de leurs pensions de retraite.
D’autres mesures sont à l’étude en faveur des «1045» enseignants qui sont directement payés par les églises catholique et protestante sur la base de la subvention de l’Etat. La situation des personnels d’encadrement des établissements d’enseignement privé confessionnels n’est pas occultée. Elle fait aussi partie de nos préoccupations. Le Togo reste un des rares pays de la sous-région à accorder une telle bienveillance et à manifester un intérêt soutenu envers l’enseignement privé confessionnel, et il faut s’en féliciter.
Avant la fin de cette année, nous espérons signer avec les confessions religieuses concernées une convention destinée à régir et réglementer durablement les relations avec l’Etat en matière d’enseignement confessionnel.
Comme vous pouvez vous en rendre compte aisément, aucun défi et aucune question ne sont occultés.
Nous travaillons avec méthode et rigueur en évitant la démagogie et l’improvisation.
Avec la concertation devenue permanente entre tous les acteurs du système éducatif au Togo, les périodes de tensions dans le monde éducatif sont-elles derrière nous ?
Disons plutôt que tous les acteurs affichent une réelle volonté de continuer de privilégier le dialogue, la concertation et de préserver voire consolider le climat d’apaisement et de sérénité, dans l’intérêt de l’éducation togolaise. Toute autre manière d’agir et toute autre attitude seraient contreproductives et préjudiciables, pas seulement pour nos enfants et notre jeunesse, mais aussi pour notre pays. Ceci ne serait dans l’intérêt de personne.
Au-delà de l’éducation, des discussions et concertations ont également eu lieu avec les syndicats du secteur de la santé. Des engagements ont été pris. Dans les semaines qui viennent, avec mes collègues de la Santé et des Finances, nous prendrons des dispositions pour le démarrage des missions d’imprégnation et de partage d’expériences en matière de fonction publique hospitalière en prélude aux réflexions approfondies sur le statut particulier des personnels de santé.
Le gouvernement veillera également à renforcer la communication et le partage d’informations avec les partenaires sociaux concernant les investissements et efforts importants en cours pour réhabiliter, rééquiper et moderniser progressivement notre système de santé.
Concernant l’enseignement supérieur, le gouvernement a mené au cours des mois de juillet et août 2019 des négociations avec les deux syndicats des universités de Kara et de Lomé avec la participation des dirigeants des deux universités et nous sommes parvenus à une plateforme de mesures consensuelles pour résoudre durablement les préoccupations et les revendications qui risquaient de perturber les activités académiques.
Dans tous ces secteurs de la vie nationale, nous avons encore d’importants défis à relever ensemble, dans le dialogue, la confiance et la compréhension mutuelle.
Aujourd’hui, l’adéquation Formation-Emploi est une question qui se pose avec une particulière acuité au Togo. A l’heure du Plan National de Développement qui consacre deux axes aux métiers relevant des secteurs des Transports/Logistiques et du secteur agricole (transformation agroalimentaire, agrobusiness, agro-industrie, etc.), y a-t-il des réformes introduites dans les offres de formation afin de former une masse critique de ressources humaines pour ces secteurs d’avenir ?
Le début de mise en œuvre du plan national de développement (PND) a mis en évidence l’inadéquation et le décalage préoccupants entre notre système éducatif et les besoins réels de l’économie et du marché du travail. Des réformes structurelles et en profondeur sont indispensables et urgentes. Ce décalage s’observe à tous les niveaux du cursus scolaire, du primaire à l’enseignement supérieur.
Les programmes et curricula de formation ne sont pas suffisamment arrimés, adaptés ni articulés avec nos priorités de développement.
Il faut inverser la logique et la tendance, et partir des priorités nationales de développement ainsi que des besoins réels de l’économie et du marché du travail afin de définir les filières de formation. A mon sens, le PND marque un grand tournant car il est fondé sur un diagnostic lucide et objectif de nos atouts, ressources et potentialités, notamment les sources de croissance. Les réformes à mener incluent donc la réorientation de notre système éducatif, avec des inflexions en faveur de la formation professionnelle, de l’enseignement technique, de l’apprentissage et du développement des compétences pratiques.
Les universités et les centres de formation doivent redéfinir leurs programmes pour pouvoir répondre aux besoins réels de l’économie togolaise en pleine transformation.
C’est dans cette vision que s’inscrivent les importants projets voulus et initiés par le Chef de l’Etat à travers les Instituts de formation pour l’agrodéveloppement (IFAD). Chaque région de notre pays en bénéficiera en fonction de ses potentialités économiques. D’autres initiatives sont également en cours concernant la formation professionnelle et les universités publiques dont les missions d’intérêt national doivent être en parfaite adéquation avec les orientations et priorités du PND.
Le front social s’est beaucoup apaisé : enseignants, personnel du secteur médical, employés de la fonction publique etc…. n’ont plus débrayé comme ce fut le cas plusieurs années avant. Comment maintenir ce climat et quel sera votre engagement en tant que Ministre de la Fonction publique ?
Il existe une volonté et un engagement indéniables de la part du gouvernement à demeurer résolument à l’écoute des partenaires sociaux et à agir sans relâche pour la préservation de la paix et de la stabilité sociales.
Le dialogue et la concertation ne sont pas synonymes de faiblesse ni de lâcheté. Nous avons expérimenté les bras de fer et nous savons les blocages et les effets dévastateurs qui en ont résulté.
Il est aussi arrivé que notre pays connaisse de longues grèves et de graves conflits sociaux. La conséquence, les activités économiques s’en sont trouvées paralysées et affectées, aussi au bout du compte, le pays avait moins de ressources et de moyens pour satisfaire les revendications qui étaient exprimées à l’origine.
Les problèmes que l’on croyait pouvoir résoudre à travers les grèves et les conflits sociaux s’en sont trouvés plutôt aggravés. Tout le monde s’en sort perdant. Nous ne sommes donc pas condamnés à reproduire des expériences douloureuses et infructueuses. Je suis convaincu que nos frères et sœurs partenaires sociaux partagent la même conviction que moi.
La philosophie du plan national de développement (PND) n’est pas uniquement de moderniser et d’embellir physiquement notre pays, le port, l’aéroport et nos rues. Tous les investissements et toutes les actions déployés doivent concourir à un but ultime : le bien-être des Togolais et de meilleures conditions de vie pour nos concitoyens. C’est cela, le fil conducteur et la finalité du PND.
Les indicateurs de l’atteinte de ces objectifs ultimes ce seront des services publics de meilleure qualité, accessibles à tous, surtout en matière de santé, d’éducation, de desserte en eau potable, d’électrification, d’assainissement et du cadre de vie dans les milieux urbains comme dans les villages et hameaux. Ce sera aussi le relèvement des revenus salariaux et non salariaux. Il y a déjà des signes annonciateurs, avec la décision prise par le Chef de l’Etat de procéder à la revalorisation des salaires et des pensions à compter de janvier 2020. Il en est de même avec les importantes mesures sociales en faveur des retraités avec la construction des maisons du retraité et la mise en place d’un nouveau système d’allocation de départ à la retraite à compter de l’année 2020.
Un message pour les apprenants et les acteurs du monde éducatif quelques jours après la rentrée ?
Ce n’est pas nécessaire. Tout a été dit par le Premier Ministre lors de sa rencontre et de ses échanges avec l’ensemble des acteurs et partenaires du système éducatif. A la veille de la rentrée scolaire, le gouvernement, par la voie du Ministre de l’Enseignement technique, de la Formation et de l’Insertion professionnelles, a partagé avec la communauté éducative, avec les apprenants et avec les parents d’élèves le message d’espoir, de confiance et d’optimisme du gouvernement. Les collectivités locales et les conseils municipaux qui sont en train de s’installer constituent, à mon sens, un maillon essentiel. Ils sont appelés à prendre toute leur place et à jouer un rôle décisif dans notre système éducatif aux côtés des parents d’élèves.
Leur rôle sera important par exemple dans la supervision et la participation communautaire en matière de réhabilitation et de construction des infrastructures scolaires. FIN
Source : Focus Infos