Une écrivaine ivoirienne s’engage « pour une génération sans excision » (ENTRETIEN)

« Je reste optimiste pour une génération sans excision », confie à l’AFP à l’occasion de la journée mondiale contre l’excision mardi, l’écrivaine ivoirienne Hamitraoré, victime de cette mutilation dans son enfance et qui a témoigné en publiant un livre, « Le couteau brûlant ».

L’excision touche 38% des femmes en Côte d’Ivoire, selon une enquête gouvernementale.

Mais d’après l’Association ivoirienne pour la défense des droits des femmes (AIDF), ce chiffre serait largement supérieur, surtout en milieu rural et dans le nord et l’ouest du pays, malgré la loi qui interdit l’excision depuis 1998.

Pour Hamitraoré, l’écriture de son premier livre (publié en 2012) a constitué une forme de thérapie. « Ce livre-là je l’ai fait d’abord pour moi. Parce que déverser sa colère, sa douleur, partager sa souffrance, ça m’a fait vraiment beaucoup de bien, et je continue toujours ma guérison psychologique ».

« C’est très important de s’exprimer », même si « parler de quelque chose d’intime, c’est difficile, d’autant que dans notre société, tout ce qui est lié au sexe, à la tradition, reste un sujet tabou », explique d’une voix émue cette femme de 37 ans au visage grave.

« J’ai brisé le mur du silence, j’ai décidé de mon destin », et « j’espère qu’il y aura beaucoup de victimes (de l’excision) qui vont parler » après moi, affirme-t-elle.

– ‘Il y a des avancées’ –

La loi ivoirienne punit les exciseuses de trois ans de prison et d’amende, mais elle est très peu appliquée, selon Constance Yaï, la fondatrice de l’AIDF et ancienne ministre de la Solidarité et de la Promotion de la Femme.

« Les magistrats préfèrent sermonner les exciseuses » plutôt que de prononcer des peines de prison, dénonce-t-elle.

Hamitraoré, qui parallèlement à sa profession d’écrivain (son troisième livre est en préparation), dirige une fondation contre les violences sexuelles, la Fondation Gnitresor, estime cependant que la lutte contre l’excision porte ses fruits petit à petit.

« Le changement de comportement, c’est à long terme. En milieu rural on n’osait pas parler réellement des mutilations génitales féminines, mais aujourd’hui, les chefs coutumiers, les guides religieux, les leaders charismatiques, tout le monde en parle. Il y a des avancées », juge-t-elle.

« Avant on n’entendait pas parler de victimes. Personne n’osait prendre la parole pour témoigner à visage découvert ».

« Aujourd’hui, on arrive à organiser des conférences en milieu scolaire, je vois des élèves de sixième prendre la parole et témoigner devant des centaines de personnes. Les parents échangent avec leurs enfants sur le sujet. Je reste optimiste pour une génération sans excision », conclut Hamitraore.

L’AIDF plaide pour que le gouvernement fasse de la lutte contre l’excision « une véritable priorité politique ».

Selon l’ONU, près de trois millions de filles sont excisées chaque année dans le monde, et au total 200 millions de filles et de femmes ont subi une forme de mutilation génitale dans les pays les plus concernés (27 pays africains, ainsi que le Yémen, l’Irak et l’Indonésie – chiffre 2016).

SOURCE : AFP