Le Fonds monétaire international a-t-il trouvé plus libéral que lui? Lors de sa visite début décembre au Bénin, sa directrice générale, Christine Lagarde, a loué les efforts du gouvernement pour assainir les finances publiques. Avec un bémol: dépenser plus pour le social.
« J’y serai attentive », a-t-elle déclaré. Le président Patrice Talon, ancien homme d’affaires qui a fait fortune dans le coton, a signé l’année dernière un emprunt de 150 millions de dollars avec le FMI pour lancer son programme « Bénin révélé » visant à restructurer l’économie de ce pays d’Afrique de l’Ouest.
Son gouvernement a liquidé plusieurs sociétés d’Etat, notamment dans le secteur de l’agriculture, et prévoit de confier au privé la gestion d’entreprises publiques et parapubliques régulièrement montrées du doigt pour leur inefficacité dans les secteurs de l’eau, de l’électricité, des télécommunications,…
Un tournant libéral qui n’est pas du goût de tous et les mouvements sociaux se multiplient. Les employés de la santé ont fait grève entre septembre et novembre dernier pour s’opposer à la mise en concession du Centre national hospitalier universitaire (CNHU) de Cotonou.
Au port de Cotonou, poumon de l’économie qui rapporte 80% des recettes fiscales, les employés aussi s’inquiètent des négociations avec Port of Antwerp International SA, filiale du port belge d’Anvers à qui le gouvernement veut déléguer sa gestion.
La présidence assure qu’il n’est « pas question de privatiser ».
« L’affermage, la mise en concession sont des modèles à essayer », avait affirmé le chef de l’Etat lors de sa rencontre avec les syndicats le mois dernier.
Mais cette garantie ne convainc pas le monde syndical, qui reste très puissant dans le pays.
« Le terme n’est jamais utilisé mais pour nous, ce sont des privatisations déguisées de secteurs clés au prétexte qu’ils sont mal gérés. Talon a fait l’option du tout privé et de l’Etat minimum », dénonce Paul Essé Iko, ancien dirigeant d’un syndicat proche du Parti communiste béninois (PCB).
Le Bénin vit dans un système économique libéral depuis 1991, après 17 ans de marxisme autoritaire sous la première présidence de Mathieu Kérékou.
« C’est l’ancien président Nicéphore Soglo (qui lui a succédé), ancien fonctionnaire de la Banque mondiale, qui a été le premier à privatiser dans la période d’ajustement structurel du FMI » dans les années 1990, rappelle Albert Honlonkou, économiste béninois.
Ce fut notamment le cas du coton… qui a permis à Patrice Talon d’entrer dans la filière.
– ‘Filet social’ –
Les syndicalistes affirment ne pas être contre la mise en place de partenariats public-privé.
« Mais ce qu’on veut, c’est être associé à ces réformes, pas que ça se fasse sans nous comme c’est le cas », explique l’un d’eux au sein du port.
« Si le privé améliore nos conditions de travail et nous permet des évolutions de carrière, d’accord », admet de son côté un infirmier de Cotonou.
« Mais j’ai peur qu’avec le privé, les tarifs augmentent et que les démunis ne puissent plus se soigner! », s’inquiète-t-il sous couvert d’anonymat.
« Pour Patrice Talon, réformer veut dire privatiser », analyse Noël Chadaré, de la Cosi Bénin, un syndicat réformiste. « La société béninoise n’est pas prête pour l’ultralibéralisme, on n’a aucun filet social, c’est trop brutal », dit-il alors que le Bénin fait partie des pays les plus pauvres au monde, avec un taux de pauvreté de 50% malgré une croissance à plus de 5% ces dernières années.
Ce qui inquiète, c’est que le président Talon touche à des secteurs non-marchands comme la santé et l’éducation. Il a dû faire marche arrière sur l’instauration de frais d’inscription dans les universités publiques cette rentrée après la levée de boucliers des syndicats étudiants.
« Pour la majorité de la population, c’est l’expression de la faible considération que le pouvoir a pour le social », estime Soulé Bio Goura, autre économiste local.
« Je pense toutefois que les réformes sont nécessaires », analyse M. Bio Goura. « Mais elles ont besoin d’un peu plus de pédagogie pour être acceptées. »
Pour Noël Chadaré, le président Talon « est encore dans son costume d’homme d’affaires. Il veut faire du bénéfice partout et attend des retours rapides sur investissement ».
Par ailleurs, beaucoup de Béninois pensent que ces réformes vont profiter à Patrice Talon et à son entourage.
Même si le président a affirmé s’être « retiré » de toutes ses sociétés (dans le coton et le port de Cotonou), l’opacité qui entoure les réformes alimente les soupçons.
SOURCE : AFP