Malgré les efforts de lutte contre le trafic de médicaments contrefaits, le Togo est toujours « ravitaillé » massivement en provenance de Chine, du Bénin et surtout du Nigeria.
Il est en effet très facile de trouver des étalages où sont exposés au soleil de faux antipaludiques, antalgiques, anti-inflammatoires et autres antibiotiques. Au même moment, les prix souvent trop élevés des médicaments et les ruptures de stocks récurrentes dans les pharmacies expliquent en partie pourquoi les populations se tournent vers les marchés parallèles qui fleurissent dans les rue de Lomé.
De la capitale du Togo, Lomé, à Cinkanssé dans l’extrême nord du pays, difficile de ne pas percevoir ces étalages de médicaments pharmaceutiques contrefait. Un peu partout au bord des voies, dans les coins et recoins, les vendeurs de ces produits dangereux exposent au soleil une gamme variée de substances diverses.
Antipaludiques, antalgiques, anti-inflammatoires, antibiotiques, antiparasitaires et antifongiques, etc. autant que dans une vraie pharmacie. Il s’agit pourtant de médicaments dangereux pour la santé qui sont vendus, sans posologie exacte, sans contrôle et sans prescription et qui sont surtout pour la plupart, des copies de ceux retrouvés à la pharmacie légale. Ainsi s’est installée une forme de criminalité transnationale, qui menace la santé publique et contre laquelle le gouvernement togolais s’est engagé à lutter. Mais le mal persiste.
Difficile alors d’endiguer ce fléau qui pullule dans les rues de la capitale togolaise. Par exemple sur le marché d’Akodessewa, surnommé la «deuxième pharmacie de Lomé», les produits coûtent jusqu’à trois ou quatre fois moins chers que dans les officines officielles.
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), il s’agit d’un phénomène qui constitue «un véritable problème de santé publique qui sape les efforts des systèmes de santé dans certains pays de la sous-région dont le Togo».
L’organisation pense que l’éradication des faux médicaments permettrait de sauver 200.000 vies chaque année dans le monde. Action très difficile vu que le marché rapporterait, selon la Fondation Chirac, quelque 200 milliards d’euros par an, pour un rendement 20 à 45 fois supérieur à celui du trafic de drogue.
Face aux conséquences assez malheureuses de faux médicaments, les autorités togolaises se sont déclarées depuis l’année 2013 strictement en guerre contre le mal en prenant des mesures de découragement. Mais malgré cet engagement de lutter contre ce trafic, les médicaments contrefaits continuent de circuler au Togo, ravitaillé par des conteneurs en provenance de Chine, du Bénin et du Nigeria.
Au même moment, les prix souvent trop élevés des médicaments et les ruptures de stocks récurrentes dans les pharmacies conventionnelles contribuent à contraindre les populations à se tourner vers les marchés parallèles qui fleurissent sur dans la rue de Lomé.
Véritable problème de santé publique
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) en parle comme d’un fléau. Selon l’organisme international, il s’agit bien de médicaments qui ne respectent aucune norme clinique ou internationale. Mais le pire, c’est quand on ne peut pas compter sur la loyauté des agents de pharmacies légales.
«On nous interdit de vendre des médicaments dans la rue, mais les pharmaciens et les centres de santé eux-mêmes viennent les acheter chez nous ici», confie une vendeuse rencontrée sur le marché d’Akodessewa. Les faux médicaments se retrouvent ainsi jusque dans les cabinets médicaux privés, qui se multiplient au Togo et échappent à tout contrôle de l’État.
«Je suis quelques fois étonné de voir que ces médicaments qui ne respectent aucune norme se retrouvent sur nos marchés. Ces médicaments contrefaits sans principe actif, au lieu de guérir les patients, les tuent. Par exemple, près de 100 bébés sont morts au Nigeria en 2008, après avoir absorbé du faux sirop de paracétamol », affirme Martin D’Almeida, Enseignant-chercheur à l’université de Lomé.
Pour lui, le paludisme, maladie particulièrement meurtrière en Afrique, est soigné avec des faux médicaments dans des proportions catastrophiques : ils peuvent atteindre 40 % de la totalité des médicaments vendus au Ghana et au Cameroun, et près de 64 % au Nigeria. Si au Togo aucun chiffre officiel n’existe en la matière, l’expérience de terrain montre qu’il ne serait que supérieur ou égal à ceux des autres pays.
«L’ingestion de ces produits peut provoquer des pathologies, des handicaps, voire la mort mais également de fortes résistances puisqu’il y a un faible dosage en principe actif. Et pendant ce temps, les malades ne prennent pas le traitement dont ils ont besoin et la maladie poursuit son cours», a poursuivi le professeur d’université.
Un trafic à l’échelle régionale
Le trafic de médicaments a pris une proportion inquiétante en Afrique de l’ouest depuis quelques décennies. Malgré les mesures prises par les pays de la sous-région ouest africaine, les réseaux de trafiquants continuent d’alimenter les marchés locaux. Alors que les médicaments frauduleux se sont avérés nocifs pour la santé et parfois mortels, ils continuent à alimenter un secteur de plus en plus lucratif pour les réseaux du crime organisé.
Pour lutter contre ce phénomène, certains États ont mis au point une stratégie coordonnée en collaboration avec l’Organisation mondiale des douanes (OMD) et l’Institut de recherche anti-contrefaçon de médicaments (IRACM), afin de renverser cette tendance.
Cette nouvelle stratégie commence à porter ses fruits face aux trafiquants qui usent de moyens de plus en plus ingénieux pour passer entre les mailles des services de la douane.
Au Togo, la guerre engagée par les autorités contre ce phénomène a permis de mettre en déroute les trafiquants depuis 2013. Plus de 70 tonnes de produits pharmaceutiques et 1,04 tonne de méthamphétamine ont été saisis entre juin 2014 et juin 2015, selon le Comité national anti-drogue et l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime. Dans cette période a eu lieu la plus grande prise des forces de sécurité.
En effet, les trafiquants ont essuyé leur plus grand revers lors d’une opération conjointe des autorités de santé, douane et de police dénommée «Porc-épic», menée au Port Autonome de Lomé (PAL) entre 27 et 29 mai 2014.
«Porc-épic» a permis de saisir environ 9 tonnes de médicaments illicites d’une valeur totale de 200.000 dollars US.
«C’est aussi l’occasion pour nous d’exhorter nos concitoyens à faire attention aux produits qu’on leur vend un peu partout. Quand on veut acheter les produits pharmaceutiques, il faut aller à la pharmacie, le seul endroit où on peut trouver de vrais médicaments», a conseillé le ministre togolais de la sécurité, Yark Damhame.
Dans la sous-région, les efforts ont aussi porté leurs fruits. En fin de semaine dernière seulement, un stock de faux médicaments d’une valeur de 50 millions de Fcfa a été saisi par la direction de la Santé publique vétérinaire et de la législation, en collaboration avec les forces de sécurité à Bobo Dioulasso, capitale économique du Burkina Faso, située à 360 km à l’ouest de Ouagadougou. Les produits importés, du Cameroun, du Sénégal, de la France, de la Hollande, de la Chine et de l’Espagne, sont composés essentiellement de 85 types de produits vétérinaires contrefaits.
Le Nigeria pointé du doigt
Afin d’arriver à éradiquer ce trafic illicite, les autorités douanières togolaises ont opté pour la traçabilité des médicaments en remontant tout le circuit du trafic illicite des médicaments au Togo. Ceci a permis d’identifier la provenance de la plupart des cargaisons qui infiltrent le marché local togolais malgré les mesures prises. Sur cette question, les détaillants sont unanimes sur la provenance des médicaments contrefaits qui débarquent au Togo. Pour eux, cela ne souffre d’aucun doute. Les médicaments contrefaits proviennent de l’Asie et sont introduits sur les marchés de la sous-région via Nigeria. Le pays est devenu depuis un bon moment la plaque-tournante des trafics de médicaments illicites de l’Afrique de l’ouest.
Ils se ravitaillent auprès des trafiquants nigérians qui arrivent à alimenter le marché local togolais après avoir usé de tous les moyens pour passer entre les mailles de la douane et de la police togolaise.
«J’achète mes médicaments chez des partenaires basés à Lagos au Nigeria. On se constitue en groupe de deux voire trois détaillants pour faire nos commandes. Et les commandes arrivent deux mois après. Ils disposent des réseaux de contrebandiers qui font entrer les médicaments sur le territoire. Longez la frontière de Hilla Condji (Togo-bénin) et vous verrez de jeunes gens transportant des cartons souvent couverts sous les yeux des douaniers qui ne se doutent de rien», a révélé un détaillant rencontré sur le marché d’Akodessewa, surnommé la «deuxième pharmacie de Lomé».
Un aveu qui amène certains pharmaciens à s’interroger sur l’application des agents de la douane et de la police. Ils estiment que la corruption a eu raison de certains agents qui n’hésiteraient pas à fermer les yeux sur les va-et-vient des contrebandiers aux différents points d’entrée du pays.
«Je sais qu’il a toujours été difficile dans l’histoire des trafics de tout genre de vaincre d’une baguette magique ces réseaux. Mais, il est clair que certains agents véreux ferment les yeux sur les va-et-vient des contrebandiers qui font entrer ces médicaments sur le territoire », a d’ailleurs poursuivi un autre détaillant.
Face à l’ampleur du phénomène, l’Ordre national des pharmaciens du Togo (ONPT) n’a pas hésité à descendre dans les «arènes» pour lutter contre ce phénomène qui entraine un manque à gagner estimé à plusieurs milliards de Fcfa.
Ces engagements dans cette lutte contre le commerce illicite des médicaments se limitent, pour l’heure, à des actions de sensibilisations des populations sur les risques que ces derniers encourent en prenant les «agbandzitiké» (médicaments des étalages, en éwé, dialecte du sud Togo).
A cet effet, l’ordre a institué une journée nationale pour atteindre ses objectifs.
«Nous organisons des ateliers de sensibilisations dans les hôpitaux, les écoles et marchés au cours de cette journée pour sensibiliser les populations contre la prise de ces médicaments d’origine douteuse. Nous expliquons à travers des exemples bien précis la différence qui existe entre un médicament assermenté respectant toutes les normes d’un produit actif et un médicament contrefait», a indiqué Dr. Kpeto Koundé, président de l’ordre national des pharmaciens du Togo.
Une lutte régionale à coordonner
Face un mal transfrontalier de ce niveau et de ce genre, aucun Etat ne peut lutter seul. Surtout face à la porosité des frontières qui constitue une difficulté difficile à surmonter. La CEDEAO a ainsi recommandé pour mettre en déroute les trafiquants que les services de douane des pays de la sous-région travaillent en synergie, afin d’échanger des informations sur les médicaments qui franchissent les frontières.
De son côté, l’Organisation Mondiale des Douanes a mis au point de nouvelles mesures pour réduire d’une manière significative l’évolution des «médicaments de la rue» en Afrique de l’ouest. Il s’agit de former les douaniers aux nouvelles techniques d’analyse de risque et de ciblage, d’identifier les différents types de produits contrefaits et d’évaluer leurs risques potentiels, de détecter les nouveaux vecteurs et les nouvelles techniques de fraude de manière à pouvoir mettre en place des moyens de lutte adaptés.
Outre ces différentes mesures, l’organisation a mobilisé les acteurs de la lutte, notamment les agences de réglementation et les titulaires des droits de propriété intellectuelle des principes actifs, afin qu’ils collaborent avec la Douane. A ce propos, elle encourage les douaniers à utiliser le système Interface Public-Membre (IPM) qui est l’outil en ligne de l’OMD servant d’interface entre les douanes et le secteur privé, et sur l’échange d’informations pour la formation des douaniers. Des mesures qui ont déjà prouvé leur efficacité.
Une opération douanière régionale dénommée «Vice Grips 2» a permis de juger de l’ampleur du phénomène dans 16 pays en Afrique de l’ouest et du centre en 2012. A cette occasion, plus de 82 millions de doses de médicaments illicites parmi lesquels des antipaludéens, des antiparasitaires, des antibiotiques, des sirops antitussifs ou encore des contraceptifs et des traitements contre la stérilité, l’ensemble étant estimé à plus de 40 millions de dollars américains, ont été saisis.
Mais malgré les saisies record enregistrées au Togo et dans la sous-région, le commerce illicite de médicaments contrefaits semble avoir encore de beaux jours devant lui dans un contexte où règne l’omerta et dans un paysage où le pouvoir d’achat ne permet pas aux citoyens de d’accéder aisément aux services de santé.
Emmanuel ATCHA