L’Afrique fait face depuis quelques années à une augmentation non-maîtrisée du nombre de chômeurs. Face à cette crise d’emplois, les gouvernants font des réformes sur réformes sans jamais pouvoir contenir le mal. Où se trouve exactement le problème? Que pense l’expert des systèmes éducatifs, Docteur Kodjovi Aubin Thon sur cette problématique. Dans une interview à l’Agence Savoir News, il essaie de proposer des pistes aux gouvernements africains. Docteur Kodjovi Aubin Thon est chercheur et expert togolais en éducation. Il est auteur de plusieurs livres dans le domaine pédagogique, dont « Les 10 Commandements de l’Education ».
Titulaire d’un doctorat (PhD) en Leadership et administration scolaire axé sur le système éducatif, il a organisé des séminaires aux USA, au Togo, au Sénégal et au Niger sur les systèmes éducatifs. Actuellement Docteur Thon est professeur de mathématiques à la Guildford County School (USA) et chef de département de mathématiques.
Il est également vice-président de la Mount Eagle College, une université américaine où il intervient. Il est aussi le président du comité des directeurs de thèse.
Savoir News: Quelles observations faites-vous du système éducatif africain en général et francophone en particulier ?
Docteur Aubin Thon :<
/strong> Le constat est simple. Si depuis toutes ces années, l’Afrique stagne alors que l’éducation se révèle de jour en jour comme un outil essentiel au développement, il me paraît facile de comprendre que le système éducatif de l’Afrique n’est pas en adéquation avec les besoins réels et les axes de développement du continent. Il va sans dire que quand l’on parle de l’éducation, cela ne se résume pas uniquement aux bancs et aux salles de classes. Il faut que l’on prenne le problème au sérieux. Il faut qu’un crédit minimum soit accordé à l’actif de l’impact de l’éducation, car il est clair que l’Afrique a besoin d’un système d’éducation réfléchi et propre à elle.Partout en Afrique on s’interroge sur l’efficacité des réformes du système éducatif, qui semblent ne pas apporter de réponse au chômage des jeunes…
On ne pourra effectivement guérir une maladie que si elle est bien identifiée. Nous parlons de réformes sans pour autant chercher à savoir les axes de développement appropriés à notre continent. Les reformes dont a besoin l’Afrique ne sont pas les réadaptations des reformes de l’Occident.
Ce sont des réformes éducatives qui doivent prendre en compte nos valeurs, nos cultures, nos besoins et disponibilités afin qu’elles puissent servir aux fins auxquelles elles seront faites. Comment pourrons-nous mettre fin au chômage si toutes les énergies sont orientées vers une éducation non appliquée qui se limite à livrer des diplômes aux apprenants ? Eduquer selon moi, c’est informer, se former et former pour ne pas dire produire. Et si l’un de ces trois constituants manque, le but de l’éducation servie, est raté et donc dérisoire.
Quelles solutions préconisez-vous?
Il faut d’abord commencer par une étude de l’évolution de la société africaine, en prenant en considération nos histoires, nos valeurs et nos coutumes, nos sociétés et aussi l’évolution du monde pour comprendre comment l’Africain peut obtenir le même résultat que l’Américain par exemple, en utilisant ses propres aptitudes, outils et opportunités. Ensuite, il serait indispensable de développer un système éducatif capable de suivre l’évolution de la société africaine.
Ce système doit permettre à l’apprenant africain d’optimiser ses talents et de se rendre compétitif sur le plan international. En effet, un système éducatif est un outil de développement. Pour cela, il doit être fragmenté en séries et en étapes pouvant servir à différents groupes d’âge, différentes aspirations et différentes vocations avec une vision unique : celle d’informer, de former et de produire pour développer nos sociétés.
Plus concrètement, qu’attendez-vous des dirigeants africains ?
Les dirigeants africains doivent être des visionnaires. Des hommes qui planifient non seulement pour la génération actuelle, mais celle à venir également. Aujourd’hui, le système éducatif africain doit être réinventé.
Certes, nous pouvons nous inspirer des valeurs des systèmes déjà fonctionnels, mais nous ne devons guère oublier la particularité de l’Afrique et des Africains. L’espoir de l’Afrique est qu’elle regorge aujourd’hui de beaucoup de fils et filles qui ont fini d’analyser, et d’évaluer les systèmes éducatifs des pays qui marchent.
Ces fils doivent obligatoirement être associés aux experts du continent, notamment le corps enseignant et aux dirigeants pour concevoir un système éducatif apte à porter l’Afrique à un rang respectable dans le monde.
A propos justement des enseignants, des acteurs clés de l’éducation : dans de nombreux pays, leur statut et leurs conditions de travail constituent un frein au développement de l’éducation…
L’enseignement est un art et pour qu’un artiste réponde convenablement, il a besoin d’inspiration. Or, les conditions de nos enseignants ne leur permettent pas de jouer leurs partitions dans la formation de notre relève. Ainsi tient la craie quiconque est à la quête du pain quotidien et non quiconque en a la vocation. La plupart de ceux qui enseignent le font pour satisfaire leurs besoins et non pour peindre les meilleurs arts de leur mission.
La réponse à la question est très simple : il faut que les conditions des enseignants soient revues et améliorées, que les outils dont les enseignants ont besoin pour produire les meilleurs piliers de développement, soient mis à leurs dispositions.
Que les accompagnements techniques et psychologiques dont a besoin le métier soient disponibles et que les mérites des éduqués soient mis en valeur et à profit pour que l’éducation puisse réellement servir de base de développement surtout en Afrique.
Pour vous qui enseignez aux Etats-Unis, quelle différence avec le système éducatif africain ? Peut-on s’en inspirer ?
Les Etats Unis ont un système d’éducation qui répond non seulement aux besoins actuels des Américains, mais aussi qui prépare la relève à répondre aux exigences déjà pressentis par les nationaux et les dirigeants.
C’est un système éducatif qui exhorte l’apprenant déjà depuis le bas âge à s’informer et à se former pour produire pour la société. Un éduqué américain ne l’est pas seulement pour lui-même, mais pour son peuple car non seulement il est encouragé à produire mais aussi sa production est valablement absorbée et saluée par sa société. Tant que le système éducatif africain ne nous informe pas, ne nous forme pas à produire pour notre société, il serait très difficile de le comparer au système éducatif américain. FIN
Interview réalisée par Emmanuel ATCHA
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