L’Organisation pour Bâtir dans l’Union, un Togo Solidaire (OBUTS), l’une des grandes formations politiques de l’opposition togolaise de l’ancien Premier ministre Agbéyomé Kodjo souffle ses huit ans d’existence. Dans une interview exclusive accordée à l’Agence Savoir News, M.Kodjo, aborde plusieurs sujets dont les réformes politiques et le dossier Wacem (évasions fiscales).
Savoir News : OBUTS souffle ses huit années d’existence. Qu’est-ce qui vous a motivé à l’époque à créer ce parti ? Et pourquoi le « ballon », comme Logo ?
Agbéyomé Messan Kodjo: Après toutes les persécutions dont je fus victime, je ne voulais plus faire de la politique. La forte propension à m’en tenir de manière résolue à cette décision fut extrêmement présente en mon esprit.
Il se trouve que lorsque je fus arbitrairement incarcéré à la prison de Kara, à mon retour d’exil, pour des faits imaginaires, et des histoires à dormir debout, au cours d’une visite qu’il me rendit, mon frère Dahuku PERE, (l’autre réformateur avant l’heure … sourire …), a soumis à ma réflexion l’idée d’un projet commun tendant à proposer une nouvelle offre politique au peuple togolais, que serait baptisée +l’Alliance+. En vérité, j’étais plus préoccupé par le souci de sortir des chaînes de mon emprisonnement que d’un projet politique.
Toutefois, après en avoir apprécié, et m’étant laissé convaincre de la pertinence d’une nouvelle offre politique au peuple togolais, le projet commun a mûri, puis s’est formellement concrétisé quelques mois après ma libération de la prison de Kara.
Cet attelage qui a explosé à la veille des législatives de 2007, a hélas connu [la vie des roses, l’espace d’un matin], pour des raisons qui appartiennent à l’histoire. Puis survint une longue période de léthargie au cours de laquelle, celles et ceux qui me rendaient visite, m’encouragèrent à prendre une initiative de nature à faire émerger une nouvelle formation politique porteuse d’un contenu moderne et démocratique. J’avoue avoir beaucoup hésité avant de m’engager.
C’est ainsi que progressivement, de rencontres en rencontres, l’idée de construire une offre politique sérieuse et structurée pour rassembler les togolaises et les togolais qui étaient en quête de nouveaux repères politiques et d’un nouveau leadership, a fait son chemin dans mon esprit.
Subséquemment, le 02 août 2008, dans la ferveur générale, dans un Togo inondé de toutes parts, d’eau de pluie, naquit à Lomé, la formation politique +OBUTS+ (Organisation pour Bâtir dans l’Union un Togo Solidaire).
Des délégués venus de tous les horizons, de toutes les régions, et contrées de notre pays, prirent part au Congrès fondateur.
Pourquoi avoir choisi le Ballon comme signe identitaire ? Le Ballon est un moyen de rassemblement populaire, il incarne une dynamique unitaire qui mobilise toutes les énergies pour offrir la victoire à son camp, et dans le cas d’espèce, au Togo. Une compétition de football est par nature fédératrice. OBUTS veut fédérer toutes les énergies et toutes les compétences des fils et des filles de notre pays pour faire triompher le Togo, et offrir à chaque citoyen, les moyens de mieux vivre ensemble.
Aussi, le choix du Ballon est l’expression d’une volonté politique assumée ; celle de conduire le Togo vers la performance et la réalisation de victoires dans des domaines où il est à la peine. Il [lui] (le Togo) faut donc marquer des buts. Des Buts contre la pauvreté, des buts contre la misère, des buts contre l’injustice, des buts contre la division, des buts contre la faim, des buts contre la corruption et le sabotage économique, des buts contre l’impunité, des buts contre l’incivisme, et des buts pour une Nation moderne et prospère attentive et soucieuse des aspirations de la population.
Enfin, s’il est un domaine dans lequel le respect des lois, des règlements, et du fair play confère, de la noblesse, et participe à la construction du lien social, à la paix, et à la concorde nationale, c’est bien celui du football. La vie démocratique et les différentes confrontations politiques qui la sous-tendent doivent obéir aux mêmes principes et au même idéal, que ceux du Ballon rond.
Comment se porte aujourd’hui OBUTS ?
La formation politique que j’ai l’honneur de diriger se porte bien, et est toujours à la tâche; déployant activités et idées sur l’organisation et la gestion de la société, multipliant les universités politiques, les séminaires de formation, groupes de travail, et conférences thématiques de portée internationale, pour le renforcement des capacités civiques et politiques de nos militantes, et militants.
Nous sommes présents dans le débat politique national sur les sujets d’actualité politique, et sur ceux qui préfigurent la société de demain, pour un mieux vivre ensemble dans un Togo uni et réconcilié. Nous sommes debout et prônons l’amour, le pardon, le respect, la dignité, la courtoisie républicaine, et une gouvernance vertueuse qui convoque le mérite et le talent, tout en demeurant solidaire à l’égard des plus vulnérables d’entre nous.
Quel « petit bilan » pouvez-vous dresser ? Etes-vous satisfaits du chemin parcouru?
Déjà nous existons politiquement ; nous faisons valoir toutes les fois qu’il en est besoin : nos idées, nos convictions politiques, et notre conception républicaine de la pratique politique. Nous sommes tout autant présents dans le débat politique national, et c’est incontestablement une victoire car lorsque l’on revisite le chemin parcouru, rien ne nous fut offert sur un plateau. Bien au contraire ! Le chemin parcouru par notre formation politique fut semé d’embuches, et ensemencé de méthodes vexatoires qui illustrent les difficultés de revêtir le statut d’opposant politique en Afrique, et au Togo en particulier.
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué durant ce parcours ? Et pourquoi ?
Je fus profondément marqué par le procès en sorcellerie qui fut fait à la formation politique OBUTS au lendemain de l’élection présidentielle du 4 mars 2010 qui a conduit au prononcé d’une décision judiciaire portant dissolution de la formation politique OBUTS par le tribunal de première instance de Lomé.
Pour une formation politique qui n’aurait réalisé qu’un score insignifiant au cours de cette consultation électorale, l’acharnement dont elle fit l’objet, et la volonté de nuisance qui le sous-tendait témoignent de l’agitation que sa présence sur l’échiquier politique national créait. Aujourd’hui, nous pensons avoir quitté les zones de turbulences, et conservons intacte notre foi dans le fait que de beaux jours sont devant nous.
La grande bataille menée par l’opposition ces quatre dernières années, est celle des réformes politiques. Apparemment, les lignes sont coincées. Comment expliquez-vous cela ?
Nous avons manqué de stratégie, de vision prospective, de discernement politique, et de pragmatisme, car les conditions politiques d’aboutissement furent réunies en octobre 2014, mais notre extrémisme et notre radicalité ont porté un coup d’arrêt à toute perspective de débouché et a mécaniquement tout compromis.
Il me paraît bon que chacun ait constamment à l’esprit que la politique, est aussi l’art du possible, et est souvent tributaire des circonstances ou d’opportunités précisément politiques. À nous acteurs politiques d’être désormais des sentinelles vigilantes pour saisir la prochaine opportunité.
Peut-on accuser le parti au pouvoir de faire traîner les choses ?
La Puissance publique est dans son rôle en tentant de maintenir aussi longtemps que possible le statu quo ; conséquemment, elle porte en partie la responsabilité de cet état de fait. Pour autant, chacun devra comprendre qu’il est temps, je dirai même grand temps que chacun mette la Nation au cœur de ses préoccupations.
Chacun d’entre nous doit maintenant avoir à l’esprit qu’il est acteur et fera partie de la solution, partout et à chaque fois que le devoir républicain l’appellera à jouer sa partition, pour faire émerger des institutions républicaines qui nous ressemblent, et nous rassemblent.
Une affaire fait grand bruit depuis quelques jours : le dossier WACEM. Demandez-vous également la démission du Premier ministre?
L’affaire de l’implication présumée de la société WACEM dans une organisation à grande échelle d’évasion et de fraude fiscale, soulève à raison des indignations dans l’opinion.
La densité économique des activités de la société WACEM sur le marché national et international, la misère faite aux travailleurs qui y exercent, l’absence des infrastructures de base sur le site de production ainsi que dans l’agglomération d’exploitation de la carrière, et la modicité de sa contribution aux caisses du Trésor Public togolais sont constitutifs des éléments de la colère des populations qui ont découvert à l’occasion de l’affaire dite des Panama papers, le vrai visage des dirigeants de la société WACEM qui seraient supposément propriétaires de comptes off shore, dans les paradis fiscaux accueillant nous dit-on, des ressources financières considérables, soustraites au paiement de l’impôt sur les sociétés au Togo. Sans oublier la désinvolture qui est apparue relativement aux conditions de travail des salariés de la société WACEM, et l’absence d’un dispositif de protection et de sécurité des travailleurs dont cinq périrent atrocement le 30 juin 2015, lors de l’explosion d’une citerne de fuel sur le site de production.
Il est hautement souhaitable et de bon sens élémentaire, que la Puissance publique, prenne toutes ses responsabilités, et qu’animé du scrupuleux souci de l’intérêt général, elle mette bon ordre dans cette situation pour que justice soit faite au Trésor Public togolais, aux Travailleurs, et aux populations des zones minières.
Le problème soulevé par le scandale de la société WACEM, est plus profond qu’il n’y paraît. Ce n’est pas la démission immédiate du Premier Ministre qui le réglerait. Ceci étant dit, s’il ressort des investigations fiscales, judiciaires, administratives, et parlementaires qui seront à nul doute actionnées, que les dividendes versés en fin d’exercice social, aux actionnaires, furent mouvementés à partir d’un compte off shore, situé dans un paradis fiscal, tous les bénéficiaires, devront tirer toutes les conséquences qui en découlent, y compris le Premier Ministre Ministre. FIN
Propos recueillis Par Junior AUREL
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