« On préfère mourir de faim que de rentrer en Côte d’Ivoire », affirme sans ciller Ange-Pelagie Baya, réfugiée ivoirienne au Ghana, qui refuse de rentrer dans son pays, pourtant considéré en paix par la communauté internationale.
Une réunion tripartite, organisée par le Haut Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR), s’ouvre mardi à Abidjan pour préparer le retour des derniers réfugiés ivoiriens, qui ont fui le pays à la suite des violences post-électorales de 2010-2011.
La ministre ivoirienne de la Cohésion sociale, Mariatou Koné, a insisté sur le fait que « personne ne serait arrêté au retour » et a laissé entendre qu’une loi d’amnistie était en préparation. Mais sur les 11.000 Ivoiriens réfugiés au Ghana, seuls quatre sont officiellement rentrés au pays depuis la visite de la ministre à Accra en mai.
Au Ghana, dans la région Centre, les 2.200 réfugiés du camp d’Egyeikrom sont des irréductibles. Pour ces pro-Gbagbo, « on ne peut plus aller là-bas tant que le régime (d’Alassane Ouattara) ne change pas », lance à l’AFP Ange-Pelagie Baya. Réélu en 2015 pour un second mandat de cinq ans, M. Ouattara est arrivé au pouvoir en 2011, au terme d’une crise qui s’est conclue par la chute de Laurent Gbagbo, son prédécesseur.
Cette directrice d’une petite ONG locale, Referi, surveille une trentaine d’enfants, sous un plafond de paille menaçant de s’effondrer. Elle ne reconnaît pas la légitimité d’Alassane Ouattara, et pour elle, le président ivoirien reste un « rebelle », un « étranger », un « Mossi » (peuple majoritairement établi au Burkina Faso).
« Nous n’avons rien ici, juste un peu de travail aux champs pendant les récoltes », se plaint-elle aussi. Depuis novembre dernier, les distributions alimentaires ont été interrompues, et seuls 3% de l’aide promise au HCR a été affectée depuis le début de l’année.
« Les pays donateurs préfèrent investir directement en Côte d’Ivoire », explique Nii Ako Sowa, représentant du HCR au Ghana. Avec plus de 8% de croissance en 2015, le Ghana n’est plus une priorité humanitaire.
Du côté des associations de la diaspora ivoirienne, on affirme que cette coupe budgétaire brutale est avant tout un moyen de forcer les plus pauvres au retour.
– Opération de communication –
Pour Léon-Emmanuel Monnet, ex-membre actif du Front Populaire Ivoirien (FPI, fondé par M. Gbagbo) en exil à Accra, la réconciliation promise n’est qu’un « leurre », et la visite de la ministre ivoirienne, « une opération de communication ».
D’après le HCR, plus des deux tiers des 300.000 Ivoiriens ayant fui en 2010 vers le Ghana, la Guinée ou le Liberia ne sont plus enregistrés. Et pourtant, l’année dernière, il n’y a eu que dix retours officiels depuis le Ghana. Les associations de la diaspora affirment que beaucoup ont poursuivi leur route de l’exil vers l’Afrique du Nord ou vers l’Europe.
En réalité, personne ne sait où ils sont. Ils risqueraient aussi d’être considérés comme des traîtres à la cause des partisans pro-Gbagbo si on les savait de retour au pays.
« C’est un problème, car ceux qui sont rentrés ne peuvent pas nous dire comment se passe la réintégration », explique Charles Yorke, coordinateur régional du Ghana Refugee Board (GRB). Pour tenter de couper court aux rumeurs et à la paranoïa, GRB organise « des missions de repérage avec des volontaires du camp. Mais quand ils reviennent et disent que ça va, les autres pensent qu’ils ont été +compromis+ », poursuit M. Yorke.
« Comment pouvons-nous avoir confiance? Simone Gbagbo (l’épouse de
l’ex-président) est en procès à Abidjan alors qu’elle a déjà été condamnée à
20 ans », argumente M. Monnet, ajoutant: « nous ne sommes ni dans un processus de réconciliation, ni dans un processus de justice, sauf s’il l’on parle de justice des vainqueurs ».
Dans le camp d’Egyeikrom, Jean-Louis Zougbo regarde le temps passer. Le pasteur, originaire de Guiberoua (centre-ouest), bastion du FPI, dirigeait une milice civile « pour protéger le village ». Il faisait partie de ces petites mains de la guerre, de ceux qui ne seront jamais jugés, ni amnistiés.
Pauvre parmi les pauvres, ce père de famille vit sous une tente du HCR depuis 5 ans et semble encore très affecté par le conflit, qui avait fait 3.000 morts en cinq mois.
Ce que craint M. Zougbo, ce sont les lynchages, la justice populaire, s’il devait un jour rentrer sur ses terres aujourd’hui occupées par les ex-rebelles.
« Moi, anonyme, si je disparais, si je rentre et qu’on me tue, personne ne le saura », dit-il. « Aujourd’hui, c’est un camp seulement qui est visé, et les autres passent pour des anges, ce qui n’est pas juste ».
SOURCE : AFP