L’ex-président tchadien Hissène Habré condamné à perpétuité, 25 ans après sa chute

Un quart de siècle après sa chute, l’ex-président tchadien Hissène Habré a été condamné lundi à la prison à vie pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre par un tribunal spécial africain à Dakar, au terme d’un procès inédit censé servir de leçon aux dirigeants africains.

La lecture du verdict par le président du tribunal, le magistrat burkinabè Gberdao Gustave Kam, n’a duré qu’une heure environ. Le tribunal a reconnu l’accusé coupable de crimes contre l’humanité, viols, exécutions, esclavage et enlèvement, une décision accueillie par des cris de joie des parties civiles ou militants des droits de l’Homme, et l’indignation de ses partisans.

Après le verdict, Hissène Habré, 73 ans, resté jusque là impassible, en boubou et turban blancs, le regard dissimulé derrière des lunettes noires comme depuis le premier jour du procès, a salué ses partisans, levant les bras et criant : « A bas la Françafrique! ».

Ce procès est le premier au monde dans lequel un ancien chef d’Etat est traduit devant une juridiction d’un autre pays pour violations présumées des droits de l’Homme. Une commission d’enquête tchadienne estime le bilan de la répression sous le régime Habré à 40.000 morts.

Le procès vise également à répondre aux griefs croissants contre la Cour pénale internationale, siégeant à La Haye, accusée de ne poursuivre que des dirigeants africains, en montrant que le continent peut les juger lui-même.

« Aujourd’hui, l’Afrique a gagné », a réagi à la sortie de l’audience le président de l’Association des victimes des crimes du régime de Hissène Habré, Clément Abaïfouta. « Nous disons merci au Sénégal et à l’Afrique qui a jugé l’Afrique ».

« Il faut que ça serve de leçon pour tous les autres dictateurs », a commenté Souleymane Guengueng, président d’une autre association de victimes.
Un des avocats commis d’office pour la défense, Abdou Gningue, a en revanche exprimé sa « surprise ». « Nous avons l’impression que la Chambre n’a fait qu’homologuer le réquisitoire » du procureur spécial, qui avait requis la perpétuité, a déclaré Me Gningue.

Le condamné dispose de quinze jours pour faire appel.

– « Condamné pour viol » –

Arrêté le 30 juin 2013, Hissène Habré était jugé depuis le 20 juillet 2015 par les Chambres africaines extraordinaires, créées en vertu d’un accord entre le Sénégal et l’Union africaine (UA), qu’il récusait et devant lesquelles il refusait de s’exprimer ou de se défendre.

Les conseils choisis par Hissène Habré n’étaient pas présents, conformément à sa stratégie depuis l’ouverture du procès, qui a conduit la Cour à commettre d’office trois avocats pour assurer sa défense.

La Cour a souligné le « rôle central de chef d’orchestre » joué par Hissène Habré dans la répression, lui reprochant d’avoir dirigé « un système où l’impunité et la terreur faisaient loi ».

Sur un des points les plus sensibles, le tribunal s’est dit convaincu par le témoignage de Khadija Hassan Zidane, qui avait affirmé pendant le procès avoir été violée par Hissène Habré.

« C’est la première fois dans l’Histoire qu’un ancien chef d’Etat est condamné par un tribunal international pour avoir personnellement commis un viol », a affirmé Reed Brody, cheville ouvrière du dossier Habré au sein de l’organisation Human Rights Watch.

Au Tchad, des victimes présumées du régime Habré ont suivi le verdict en direct à la télévision au siège d’une association de victimes.

A l’annonce de la condamnation, les cris de joie et les youyous des femmes ont envahi la cour du bâtiment. Des victimes et leurs proches se sont étreints en criant « victoire ». Ils ont ensuite envahi la rue pour manifester leur joie, bloquant la circulation.

Amnesty International s’est également félicité d’une « décision historique », appelant l’UA et « chaque État africain à suivre cet exemple afin que justice soit rendue à d’autres victimes dans d’autres pays du continent ».

Le secrétaire d’Etat américain John Kerry a salué « un tournant dans le combat mondial contre l’impunité », y voyant « une occasion pour les Etats-Unis de tirer les leçons de leur propre connexion avec les événements passés au Tchad ».

Il faisait référence au soutien longtemps apporté par son pays, comme par la France, au régime Habré dans les années 1980.

Hissène Habré a dirigé le Tchad pendant huit ans (1982-1990) avant d’être renversé par un de ses anciens collaborateurs, l’actuel président Idriss Deby Itno, et de se réfugier au Sénégal en décembre 1990.

Le Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme Zeid Ra’ad Al Hussein a comparé cette condamnation à celles prononcées par la justice internationale contre l’ex-président libérien Charles Taylor et l’ancien chef politique des Serbes de Bosnie, Radovan Karadzic, louant la l’accord entre l’UA et le Senégal, « excellent exemple d’appropriation régionale du combat contre l’impunité pour les crimes internationaux ».

La Belgique, qui avait délivré en 2005 un mandat d’arrêt international contre Hissène Habré, a salué une avancée dans « lutte contre l’impunité ».

En cas de condamnation définitive, il purgera sa peine au Sénégal ou dans un autre pays de l’UA.

Une autre phase s’ouvrira prochainement, durant laquelle seront examinées d’éventuelles réparations au civil.

SOURCE : AFP