Assemblée nationale incendiée, télévision publique prise d’assaut, violences en province: le Burkina Faso s’est enflammé jeudi contre le régime de Blaise Compaoré, l’un des hommes forts d’Afrique de l’Ouest, au pouvoir depuis 27 ans.
En pleine tourmente, le gouvernement a annoncé à la mi-journée avoir « annulé le vote » du projet de révision constitutionnelle qui a mis le feu aux poudres, prévu dans la matinée, et a appelé « au calme et à la retenue ».
Partenaires du Burkina Faso, qui joue un rôle-clé dans l’instable zone sahélienne, Paris et Washington sont montés au créneau. La France, ex-puissance coloniale, a plaidé pour un « retour au calme », et les Etats-Unis ont exprimé leur « vive inquiétude ».
Pour le régime en place depuis le putsch de 1987, c’est la crise la plus grave depuis la vague de mutineries de 2011, qui avait fait trembler le pouvoir. Des manifestations d’une telle ampleur contre les autorités sont rarissimes en Afrique subsaharienne.
La capitale Ouagadougou a sombré dans le chaos jeudi matin, sous l’oeil de forces de l’ordre souvent passives, selon des journalistes de l’AFP.
Les violences ont fait au moins un mort. A quelques centaines de mètres du domicile de François Compaoré, frère cadet du chef de l’Etat et personnalité influente du régime, un homme d’une trentaine d’années a été retrouvé mort, un trou dans la tempe, a constaté un journaliste de l’AFP.
« Le président doit tirer les conséquences » des manifestations, avait lancé peu auparavant Bénéwendé Sankara, l’un des leaders de l’opposition, qui avec d’autres avait appelé la population à « marcher sur le Parlement ».
Une partie du bâtiment de l’Assemblée nationale a été ravagée par les flammes. D’épaisses et spectaculaires fumées noires sortaient par les fenêtres brisées.
Mamadou Kadré, un député de l’opposition, a affirmé à l’AFP que ses collègues de la majorité – qui sont censés avoir passé la nuit dans un hôtel voisin – avaient été exfiltrés avant les violences.
Les forces de l’ordre ont tenté brièvement de stopper les manifestants en tirant des gaz lacrymogènes, puis ont battu en retraite. Plus d’un millier de jeunes ont réussi à pénétrer dans le bâtiment et à le saccager, aux cris de « Libérez Kosyam », le nom du palais présidentiel.
Aux abords de la présidence, plus au sud dans la ville, la tension était palpable. Plusieurs centaines de manifestants faisaient face aux soldats de la garde présidentielle, qu’ils tenaient à distance. Certains soldats ont effectué des tirs de sommation au-dessus des protestataires.
Autre symbole du pouvoir attaqué: la Radiodiffusion télévision du Burkina (RTB). Plusieurs centaines de personnes sont entrées dans ses locaux, où elles ont pillé le matériel, caméras incluses, avant de quitter les lieux. Les transmissions ont été coupées.
Des troubles ont également été signalés à Bobo Dioulasso, deuxième ville du pays (sud-ouest).
La mairie et le siège du parti présidentiel y ont été incendiés, de même que le domicile du maire (pro-régime) et celui du porte-parole du gouvernement Alain Edouard Traoré, originaire de la région, selon des témoins.
Le Burkina a basculé dans la crise avec l’annonce, le 21 octobre, d’un projet de révision constitutionnelle portant de deux à trois le nombre maximum de quinquennats présidentiels.
Arrivé aux affaires il y a 27 ans, le président Compaoré devait achever l’an prochain son dernier mandat, après deux septennats (1992-2005) et deux quinquennats (2005-2015).
– Un ‘printemps’ burkinabè? –
Lui qui a déjà modifié deux fois l’article 37 de la Loi fondamentale, en 1997 puis en 2000, pour se maintenir au pouvoir, défend la stricte légalité de sa démarche pour cette troisième retouche. Il restait silencieux jeudi.
Mais l’opposition craint que ce nouveau changement conduise le chef de l’Etat, déjà élu quatre fois avec des scores soviétiques, à accomplir non pas un mais trois mandats supplémentaires, lui garantissant 15 années de plus au pouvoir.
Les opposants se prenaient ces derniers jours à rêver d’un renversement du régime, longtemps considéré comme l’un des plus stables de la région.
« Le 30 octobre, c’est le printemps noir au Burkina Faso, à l’image du printemps arabe », lançait mercredi l’opposant Emile Pargui Paré, prédisant une « prise de la Bastille ».
Mardi, des centaines de milliers de personnes – un million, selon l’opposition – étaient descendues dans la rue à Ouagadougou pour dénoncer un « coup d’Etat constitutionnel ». La manifestation monstre s’était achevée par des affrontements entre jeunes et forces de l’ordre.
Si les trois quarts des députés votaient la révision constitutionnelle, la loi passerait directement par voie parlementaire, sans recours au référendum, pourtant longtemps mis en avant par le pouvoir.
Quelque 60% des 17 millions d’habitants ont moins de 25 ans et n’ont jamais connu d’autre dirigeant que M. Compaoré.
Le projet de révision et les tensions qu’il suscite inquiètent les partenaires du « pays des hommes intègres » (Burkina Faso, en langues locales) qui joue un rôle incontournable dans la zone sahélienne, en proie aux menées de groupes jihadistes liés à Al-Qaïda.
Sur le continent africain, les développements de la crise burkinabè sont suivis de près.
Au moins quatre chefs d’Etat préparent ou envisagent des révisions constitutionnelles similaires pour se maintenir au pouvoir, au Congo Brazzaville, au Burundi, en République démocratique du Congo et au Bénin. Le procédé, classique, a déjà été utilisé dans huit pays africains ces dernières années.
SOURCE : AFP