La rumeur a pris il y a une semaine à Kotouba, dans le nord de la Côte d’Ivoire: quand les téléphones ont carillonné en pleine nuit, tout le village s’est mis à boire de l’eau salée pour combattre Ebola.
« C’est dû à une révélation d’un monsieur. Il nous a dit que le virus était arrivé dans le pays et qu’on devait prendre du sel, en boire et se frotter le corps avec pour que la maladie parte », raconte Siamou Kobenan.
Impossible de se soustraire à la prophétie: « Si quelqu’un a une clairvoyance, on ne peut pas ne pas le croire », explique ce paysan à l’AFP.
« Pour l’instant, on n’a pas eu de problème d’Ebola à Kotouba », observe-t-il pour justifier cette adhésion massive au sel, qui aurait toutefois provoqué une épidémie de… diarrhée.
Quand bien même aucun cas d’Ebola n’a été diagnostiqué dans toute la Côte d’Ivoire, le remède en vogue dans la petite bourgade du nord du pays est tout autant utilisé dans les quartiers pauvres d’Abidjan, la capitale économique.
« Tout le monde dit de boire de l’eau salée ou même manger de l’oignon contre l’Ebola », s’étrangle Évariste Kouassi, un commerçant, qualifiant de « folie » l’hystérie générale.
De fait, la Côte d’Ivoire, qui se sait très menacée par l’épidémie depuis sa découverte en mars en Guinée, à 150 km de son territoire, est proche de la psychose.
Avec déjà 1.427 morts, plus d’un malade sur deux dans les quatre pays d’Afrique de l’Ouest actuellement touchés, Ebola s’impose dans toutes les conversations. Des messages de prévention sont matraqués dans les médias contre cette fièvre hémorragique extrêmement contagieuse.
Vendredi, Abidjan a décidé de fermer ses frontières terrestres avec la Guinée (407 morts) et le Liberia (624) après que de premiers décès eurent été rapportés côté libérien dans la région jouxtant la Côte d’Ivoire, jusqu’alors épargnée.
La mesure, déjà appliquée officieusement depuis quelques semaines, est la dernière en date après cinq mois de riposte graduée de l’Etat ivoirien face au virus.
L’interdiction de manger de la viande de brousse, qui véhicule la maladie, a d’abord été assortie d’un renforcement du dispositif médical. Mi-août, Abidjan a suspendu les vols avec les pays affectés, avant d’interdire toute compétition sportive internationale sur son territoire.
– ‘Ebola dégage !’-
Nul ne sait où se tiendra la rencontre face à la Sierra Leone (autre pays fortement affecté), qualificative pour la Coupe d’Afrique des nations de football, prévue le 6 septembre à Abidjan.
Le gouvernement a également appelé à « se laver régulièrement et soigneusement les mains à l’eau et au savon » et à « éviter de serrer les mains et de faire des accolades ».
De nombreux Abidjanais achètent ainsi massivement des bidons de gel antiseptique qui colorent les bureaux du Plateau, le quartier administratif et d’affaires de la ville.
La puissante Église catholique ivoirienne est montée au créneau, demandant à ses fidèles de « ne pas minimiser les recommandations gouvernementales ».
La mobilisation est également artistique. Une douzaine de peintres, revêtus de tenues de guerre traditionnelles, le corps couvert de charbon, ont occupé une portion de la principale autoroute d’Abidjan en brandissant des pancartes « Ebola Chiét » (« Ebola dégage », en nouchi, la langue de la rue).
Israël Yoroba Guébo, un journaliste-blogueur, a écrit mi-août une chanson « citoyenne », « Stop Ebola » (https://www.youtube.com/watch?v=v5vBEETGeQs), qui totalise près de 8.000 vues. Un opérateur mobile veut utiliser sa mélodie comme tonalité d’appel.
« Si on est arrivé à une telle méfiance, c’est que l’heure est grave », remarque M. Guébo, pour qui la « psychose » est réelle.
Les villageois de Gandopleu, dans l’ouest, ne sont « plus prêts à recevoir (leurs) frères des pays voisins de la Guinée et du Liberia », vitupère Dan Soumahoro, un sexagénaire qui dit avoir « beaucoup peur » de cette « sale maladie qui vous fait transpirer du sang ».
Des irréductibles persistent pourtant à nier l’évidence.
Dans certaines localités rurales, « on continue de manger de la viande de brousse en se disant: +Ebola c’est un virus des Blancs pour décimer la population africaine+ », déplore l’universitaire Jules Évariste Toa.
D’autres accusent le gouvernement de cacher les victimes ivoiriennes, ce que nient évidemment les autorités sanitaires.
Difficile toutefois de cloisonner un pays aux frontières si poreuses. A Odienné, grande ville du Nord-Ouest proche de la Guinée, une traversée clandestine coûte 15.000 francs CFA, raconte un habitant. 23 euros suffisent pour potentiellement infecter la Côte d’Ivoire.
SOURCE : AFP
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