Les audiences publiques et privées de la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR) se sont poursuivies ce samedi à Hôtel Central de Sokodé (environ 375 km au nord de Lomé), a constaté un envoyé spécial de l’Agence Savoir News.
Au total 14 témoins et victimes ont été auditionnés par la CVJR sur les conflits intercommunautaires de Sotouboua en mai 1992, les circonstances du décès subit de l’ex-ministre Djobo Boukari le 15 novembre 1997 avec comme point d’orgue, le déchaînement de violences qui ont déchiré la cohésion communautaire de Sokodé et l’arrestation et la détention arbitraires du Dr Abdoukarim Boukari en 1969, persécuté par le régime du Président Gnassingbé Eyadema jusqu’à ce que mort s’ensuive le 14 décembre 1978.
Ibrahim Amidou, cultivateur a déclaré que les affrontements ont commencé au quartier Sékoudèria à Sotouboua en mai 1992 et que cela est lié plus à un conflit foncier.
« Un homme a tiré à bout portant sur le père d’Alatakpa, un voisin de quartier, d’où le début des violences entre les Kotokoli et Kabyè. On était obligé de fuir puisque la ville était en ébullition. Nous avons tous fui pour regagner Sokodé. Depuis lors, je n’ai plus revu ma sœur Fouléra jusqu’à ce jour », a-t-il souligné.
Sidi Morou Souleymane, cultivateur, âgé de 48 ans a fait des révélations avec des preuves à l’appui en montrant une balle du conflit qu’il a gardée jusqu’à ce jour. Il a affirmé avoir été violenté par de jeunes Kabyes: « Je rend grâce à un jeune infirmier de l’hôpital de Sotouboua qui réussi à l’extirper de ces jeunes Kabyes surexcités. Il m’a caché sous le lit d’un malade de l’hôpital. C’est lorsqu’on enlevait ma grand-mère de la morgue de l’hôpital que l’infirmier m’a aussi mis dans le corbillard ».
Agouda Moumouni Zinétou, commerçante a quant à elle, témoigné en exhibant sa main droite atteinte de balle lors du conflit à Sotouboua.
« On était dans notre cours lorsque la ville de Sotouboua s’est embrassée. Subitement le frère de mon mari a pris une balle à la côte. Je me lamentais lorsqu’une autre balle m’a éclaboussée la main pour aller toucher un jeune homme. Nous avions tous fui pour Sokodé, mais après notre retour à Sotouboua, toute notre maison était complètement détruite et nos terrains vendus par les Kabyè », a-t-elle affirmé, invitant les membres de la CVJR à l’aider pour la suite de soins pour son bras qui lui fait toujours mal.
Pour Ouro-Djobo Sofianou, maître coranique, le conflit s’est éclaté un samedi: « J’étais entrain d’enseigner le coran aux enfants. Un homme est venu payer de la cigarette chez moi à crédit, puisque j’avais aussi un petit étal d’objets à vendre. Subitement, on a entendu des gens crier. J’ai aussitôt, rassemblé mes jeunes apprenants. Ils étaient au nombre de 30. Quelques minutes après, j’entendais des cris de douleurs, entremêlés des coups de fusils. J’ai pris les enfants et les cachés d’abord au lycée de la ville et ensuite je les ai amenés à la faune de Fazao. Et c’est là que les mamans sont venues chercher leurs enfants. Moi j’ai réussi à fuir, mais mon père à été frappé par les jeunes Kabyè. Ils l’ont ensuite égorgé ».
Concernant les incidents de Sotouboua, le préfet de cette préfecture, Banawaï Takouda Blèza, a donné un droit de réponse. Selon lui, la vérité n’a pas été dite sur les incidents de Sotouboua.
Pour ce dernier, les difficultés d’existence entre les Kotokoli et les Kabyè à Sotouboua ont commencé depuis et c’est en 1992 que cela a dégénéré.
« J’ai été professeur de cette localité. On a souvent discuté, histoire de régler les problèmes entre Kabyè et Kotokoli, mais cela n’a jamais abouti. Les Kotokoli de Sotouboua se disent propriétaires de terrains. Nommé préfet, j’ai souvent sensibilisé les populations sur ces problèmes de terrain. Mais ils n’ont jamais voulu comprendre. Il est important qu’on fasse tout pour que la paix revienne définitivement à Sotouboua », a-t-il suggéré.
Au bilan, en plus de la destruction de biens meubles et immeubles, on déplore selon diverses sources, 50 à 60 pertes de vies humaines et environ 200 blessés dont certains par balles tirées par des armes de guerre, souligne la CVJR dans un communiqué.
Quant aux décès de l’ex-ministre et fonctionnaire des Nations Unies, Djobo Boukari, l’annonce de sa disparition, instrumentalisée par des antagonismes ethniques et politiques locaux, a provoqué le déchaînement de passion dont les premières victimes furent deux membres de la famille du défunt. Ici encore, le bilan est lourd: 7 morts et plusieurs dizaines de blessés au terme de violentes émeutes sévèrement réprimées par l’intervention des forces de sécurité, poursuit le communiqué.
A l’analyse, il apparaît clairement à la CVJR que l’histoire du peuplement, les considérations liées à la gestion du foncier, la libération de l’expression dans le cadre de l’amorce du processus démocratique au Togo, ont servi de ferment aux conflits intercommunautaires sur fond de clivages d’ordre politique.
« Sinon comment comprendre que pour une simple affaire de paillote que les mécanismes traditionnels de conciliation auraient suffi régler, autochtones et allogènes se soient affrontés dans la région Centrale, dans une spirale de violence qui a fonctionné comme une réplique sismique aux incidents de Bodjé et Medjé survenus dans la région des Plateaux en 1991? », s’est interrogée la CVJR.
Par ailleurs, poursuit le communiqué de la Commission, les violentes émeutes qui ont embrasé Sokodé à la suite du décès de Djobo Boukari dans des circonstances non élucidées, mettent en lumière, les contradictions d’un tissu communautaire qui a eu du mal à garder son homogénéité face à la perte de l’un de ses fils les plus illustres, et qui, au surplus, fut un leader politique adulé.
« Les stigmates physiques et psychologiques toujours remarquables donnent à dire que la douleur persiste et que l’émoi est toujours vif. La Commission présente sa compassion à toutes les familles éplorées et note que, malgré leurs souffrances, certains témoins et victimes sont favorables au pardon, à la condition que justice soit rendue. Suite à son interpellation par des victimes et témoins, le Préfet de Sotouboua, Takouda Bléza a pu, à sa requête exercer son droit de réponse », ajoute le texte.
Les audiences se poursuivent demain dimanche à huis clos et en privé.
Les audiences publiques reprennent lundi prochain avec l’affaire des militants politiques originaires d’Agbandi, décédés lors de leur détention à Blitta en 1993 et les violences liées à l’élection présidentielle de 2005.
De Sokodé, Nicolas KOFFIGAN
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