Démarrées jeudi à l’Hôtel Central de Sokodé (environ 375 au nord de Lomé), les audiences publiques et privées de la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR) se sont poursuivies ce vendredi, a constaté un envoyé spécial de l’Agence Savoir News.
L’audience de ce vendredi a porté sur divers événements liés aux troubles sociopolitiques des années 90, notamment les abus d’autorité, les affrontements entre militants, les exactions des éléments des Forces armées togolaises et des agressions physiques ayant entraîné des pertes en vies humaines.
La CVJR écouté au total 9 victimes et témoins dont une audition en privé.
Tout au long de l’audience, les victimes et les témoins ont relaté avec beaucoup d’émotion, des conflits qui ont opposé des militants de divers bords politiques entre eux et mis, une fois encore en scène, des éléments des Forces armées togolaises.
Au bilan, on note des actes parfois effroyables: violences sociopolitiques, agressions physiques avec pertes en vies humaines, tentatives d’incendie, plasticage de bâtiments et destruction de biens, arrestations et détentions arbitraires avec à la clé des drames dont les victimes et leurs familles traînent encore des séquelles.
Tagba Naka, ménagère à Sotouboua n’a pas su se contenir lorsqu’elle relatait ce qui lui est arrivé, ainsi qu’à sa famille à Lomé, le 28 janvier 1993. Ce jour, son mari faisant partie du Régiment commando de la garde présidentielle (RCGP) qui a été brûlé vif et calciné avec sa moto à Bè. Le plus grave, après la mort de son mari, elle n’a pas bénéficié de pension de veuvage.
« Un an après sa mort, on a demandé aux femmes qui ont perdu leur mari dans cette situation de faire des papiers pour la pension. Moi, je n’ai rien reçu. Ils ont estimé que j’étais trop jeune, alors que j’avais quatre enfants. Je me suis débrouillée toute seule, actuellement, je suis à bout de souffle », a-t-elle souligné.
Tchaban’gna Djobo Sodji, qui est en service à la direction préfectorale de l’agriculture et de la pêche, n’a pas laissé indifférent le public, car il est selon ses propres propos, le miraculé de Tchamba. Dans cette ville, il a été aspergé d’essence innocemment, pour son appartenance à l’UFC. Les gens l’ont frappé et l’ont contraint à l’exil au Bénin.
« C’était le 5 avril 2001, Jean-Pierre Fabre faisait une tournée à Tchamba. Les jeunes n’ont pas voulu qu’il fasse le meeting dans cette ville. Les jeunes ont cherché de l’allumette pour mettre le feu à sa voiture qu’ils ont déjà aspergé d’essence. Lorsque Jean-Pierre Fabre est parti, les jeunes m’ont frappé. J’ai fui pour me réfugier à la gendarmerie où j’ai été aussi refoulé comme certains jeunes. Ce sont ces violences qui m’ont contraint à quitter pour le Bénin », a-t-il indiqué.
Gandji Bouzoura, pharmacien et cadre de la région centrale a expliqué, étape par étape, les exactions et violences, suivies de destruction de ses biens qu’il, a subies au cours des années 90, situation l’ayant obligé à quitter le pays pour Allemagne.
« Si je respire aujourd’hui, c’est grâce à Dieu. Ma voiture a été brûlée par les activistes du RPT à Sotouboua en 1991, sur ordre du feu commandant Tchassama. En janvier 1992, ma pharmacie a été plastiquée par trois grenades qui l’ont fait sauter. Le 11 mai 1992, ma maison a été brûlée par les jeunes milices du RPT », a-t-il raconté.
Ce dernier affirmé avoir été emprisonné le 24 novembre 1997 sans explication et c’est après trois mois de détention à Sokodé, qu’il a été transféré à la prison de Kara.
« J’ai fait 20 mois à la prison civile de Kara, avant d’être transféré à Sokodé et libéré sans jugement le 2 juillet 2003 », a-t-il ajouté.
A l’analyse de ces violences localisées dans les régions Centrale et des Plateaux qui sont marquées du sceau du contexte sociopolitique national très agité de l’amorce du processus démocratique dans notre pays, la CVJR a, dans un communiqué, relevé que les raisons de ce déchaînement de violence sont à rechercher dans l’anthropologie juridique liée à la gestion du contentieux foncier, à l’intolérance corrélative à l’origine ethnique et aux choix partisans.
La Commission note une fois encore la «volonté des protagonistes de donner une chance à la paix»
« Tout en prenant en compte les requêtes liées aux réparations, la CVJR tient à préciser que l’indemnisation n’est pas la seule forme de réparation dans le cadre de la justice transitionnelle. La Commission, face à la récurrence de l’intolérance comme facteur de troubles sociopolitiques, tient à rappeler que la liberté du choix d’un parti politique est un droit constitutionnel et lance un appel à la tolérance », souligne le communiqué.
Les audiences vont se poursuivre samedi et porteront sur divers événements liés aux troubles sociopolitiques des années 90.
Les témoignages vont porter sur les affrontements intercommunautaires qui ont opposé Kabyé et Cotocoli à Sotouboua en mai 1992.
Au cours de cette même audience, les travaux de la CVJR se pencheront sur les circonstances relatives au décès subit de l’ex-ministre Djobo Boukari le 15 novembre 1997 et les violences consécutives à cette disparition qui ont mis Sokodé à feu et à sang.
Rappelons que les audiences de la CVJR sont consacrées à la recherche de la vérité sur les violences électorales et autres violations des droits de l’homme qui sont survenues dans notre pays entre 1958 et 2005 dans le cadre des séances publiques, à huis clos et privées qui donnent la parole aux victimes, témoins et aux auteurs présumés.
De Sokodé, Nicolas KOFFIGAN
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