Assis sur une natte au milieu de sa concession, Nadjibou Kombaté, environ 60 ans, raconte à un journaliste de l’Agence Savoir News: « J’ai appris que certaines personnes sont arrivées chez nous pour écouter ceux ont été victimes d’exactions et de violences. Je fais partie de ceux qui ont été victimes des exactions commises par le feu commandant Djoua, mais je ne suis pas sorti. Je ne crois pas trop à ce qui se fait ».
« La plupart de mes voisins sont partis témoigner, mais moi (…), j’ai préféré rester à la maison. Je ne sais pas trop ce que cela va donner », ajoute ce vieil homme avant de s’interroger: Est-ce qu’ils vont nous dédommager? Est-ce que les coupables seront punis?
A Nakpeglé, village situé à environ 9 kilomètres de Dapaong (ville située à environ 650 km au nord de Lomé), certaines victimes des exactions et des violences sont toujours sceptiques quand à l’aboutissement de la mission de la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR).
Arrivée dans cette ville mercredi pour des audiences publiques et privées, la CVJR a achevé samedi dernier, sa mission. Les membres de cette commission poseront leurs valises à Kara (environ 420 km au nord de Lomé) mercredi prochain.
A Dapaong, plusieurs sujets ont été abordés lors de ces audiences: Les incidents ayant opposé Moba et Tchokossi à Barkoissi en 1992 aux violences électorales de 2005 dans la région des Savanes, en passant par les évènements de la Faune. Les populations de cette localité ont fait massivement le déplacement de l’hôtel Dapaong qui a servi de cadre à ces audiences. Des écrans géants étaient installés dans la salle et à l’extérieur en vue de permettre au grand public de vivre ces grands moments, pleins d’émotions.
A maintes reprises, les victimes et témoins sont revenus sur les mots pardon, réconciliation, plus jamais ça etc… Mais, il faut reconnaître que certains sont toujours sceptiques et se demandent si la CVJR pourra achever correctement sa mission.
Outre les audiences proprement dites, l’envoyé spécial de l’Agence Savoir News a également mené ses propres investigations. Il s’est rendu à Nakpeglé, l’un des villages ayant connu des scènes de violences.
A l’instar du vieux Nadjibou Kombaté, certaines personnes victimes d’exactions ne croient pas toujours à la mission de la CVJR.
« Pour une simple affaire d’hérisson, j’ai beaucoup souffert. J’ai fait 8 mois en prison. Mes parents ne pouvaient même pas me visiter. Le feu commandant Djoua m’a torturé. Mais j’ai réussi à voler le bâton qu’il a utilisé pour me frapper. J’ai également réussi à voler les menottes qu’ils ont utilisées pour me neutraliser avant de me torturer », raconte ce vieux l’arme à l’œil, le corps tout tremblant de rage.
Joignant l’acte à la parole, Nadjibou Kombaté se lève, entre dans sa chambre et ressort avec un vieux sac. Du coup il sort de ce sas, un gros bâton cassé à son bout: c’est le bâton utilisé pour le frapper. Ensuite, des menottes rouillées par le temps.
« Ce sont mes +trophées+. Je les garderai jusqu’à ma mort », s’écrie le vieux avant d’ajouter: « je pense que si on veut vraiment bien faire, ceux qui ont commis ces exactions et qui sont toujours en vie doivent aussi se présenter pour s’expliquer. A entendre ceux qui reviennent de ces auditions, les +criminels+, les acteurs de ces exactions ne se présentent pas ».
Tout juste après la chambre du vieux Kombaté, on voit celle des Laré-Sanagbéne, l’une des grandes familles de la localité. A la porte est assis un vieux non-voyant, victime des exactions lors des incidents de la Faune. Ce vieux ne voit pas, mais il est attentif, car chaque fois qu’un étranger entre dans la maison, il lance: « Mé ? » (qui signifie en langue Moba : Qui-est-ce?).
« Je revenais du champ un samedi de l’année 1980, lorsque sur le chemin, une vipère bondit sur moi et arrosa mon visage de son venin. Alors j’ai reçu le liquide dans les yeux. J’ai poursuivi le serpent et j’ai réussi à lui asséné un coup avant d’appeler au secours. C’est ainsi qu’arrivèrent, les garde forestiers qui m’ont embarqué. Ils m’ont jeté à la prison, sans explication. Je n’ai pas été soigné et du coup, je suis devenu aveugle après 40 jours de détention », raconte le vieil-homme.
« Moi, je ne sais pas si ceux qui sont venus pour les auditions (CVJR) vont atteindre leurs objectifs. Des radios rurales parlent du pardon et tout le monde crie pardon, pardon, alors qu’en réalité, les gens ont autre chose dans leur propre intérieur », affirme-t-il.
« Aujourd’hui, je n’ai plus de force, suite à tout ce que j’ai subi. Mais, mes enfants ont gardé tout cela. Vous avez, tous les habitants étaient contents quand ils avaient appris le décès du commandant Djoua. Je suis sûr que ce Monsieur est en train de payer pour tout ce qu’il nous a fait », ajoute ce vieux, fatigué par le poids de la souffrance.
Lantamnaté Bondjoga, enseignant à la retraite, estime pour sa part, que l’initiative de la CVJR est louable, « mais les choses ont été faussées à base ».
« Il y a certains qui sont cités par des témoins et victimes et qui sont actuellement aux affaires. Il y a même un ministre qui a été cité. Il faudrait que ceux-là aussi s’expliquent. Et s’ils reconnaissent leur tort, qu’ils demandent pardon aux victimes », souligne cet enseignant.
Rappelons que la CVJR est l’émanation d’un processus lié à la quête de la concorde nationale susceptible de permettre au Togo de panser les séquelles de ses développements historiques conflictuels. Elle a pour mission de déterminer, à travers un rapport circonstancié et détaillé, les causes, l’étendue et les conséquences des violations des droits de l’Homme et les violences qui ont secoué les fondements de la communauté togolaise de 1958 à 2005.
De Nakpeglé, Nicolas KOFFIGAN
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